Rousseau, Principes du droit de la guerre, Vrin, 2014. Lu par Anna Faivre

Les textes de Rousseau consacrés au droit de la guerre paraissent pour la première fois en une édition indépendante. L'initiative en revient à Bruno Bernardi et Gabriella Silvestrini. Le texte original est d'ailleurs complété par certaines de leurs études sur le sujet.

L'ouvrage se scinde en deux volets : les Principes du droit de la guerre eux-mêmes, puis des fragments rassemblés, recueillis à l'état de brouillon - ce qui vient renforcer le caractère assez inédit de l'édition. C'est entre 1755 et 1756 que sont rédigés les Principes.

Par ces écrits, Rousseau se positionne face à une question de la tradition philosophique : qu'est-ce qu'une guerre juste ? Il va pour se faire clarifier certaines ambiguïtés du débat sur le droit dans la guerre (jus in bello), souvent confondu avec le droit de tout souverain à faire la guerre (jus ad bellum) et ce, afin d'éviter le cynisme politique et les contrats iniques entre vainqueurs et vaincus. La guerre est avant tout pour Rousseau une question politique. Elle ne caractérise pas n'importe quelle querelle ou discorde mais des relations entre États. Mais dans la continuité de ses écrits antérieurs, elle est également considérée sous un angle anthropologique, en tant qu'elle repose sur des passions telles que l'amour-propre, l'orgueil ou la rivalité.

 

Dans les Principes du droit de la guerre, ce sont tout d'abord des considérations sur le sort des peuples dans le monde qui occupent Rousseau, un peu à l'image de l'incipit de nombre de ses écrits politiques:  « je vois des peuples infortunés gémissants sous un joug de fer, le genre humain écrasé par une poignée d'oppresseurs, une foule affamée, accablée de peine et de faim, dont le riche boit en paix le sang et les larmes, et partout le fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois » (ibid, p. 21). La guerre est ici abordée comme une injustice parmi d'autres.

Avant de traiter cette question proprement dite, Rousseau souligne donc l'écart entre le droit, la morale, dont il fait l'étude, et la réalité de l'existence humaine, qu'il observe impuissant. Remarquant donc, avec des accents qui rappellent le Contrat Social, combien l'injustice et l'impunité règnent dans les sociétés humaines, malgré l'instauration de pactes civils, il en attribue la cause à une zone de non-droit qui demeure, celle des relations interétatiques.

Comment se peut-il qu'au sein des sociétés civiles, les lois encadrent si bien l'existence des citoyens, et qu'en dehors de ces frontières, face aux autres États, l'état de nature semble avoir persisté ? Et à quoi est dû cet état de guerre ?

Rousseau est clair sur ce point : « bien loin que l'état de guerre soit naturel à l'homme, la guerre est née de la paix ou du moins des précautions que les hommes ont prises pour assurer une paix durable. » (ibid, p. 24). Loin de considérer cette guerre entre États comme naturelle à l'homme, il souligne d'emblée ses distances avec les théories de Hobbes pour livrer sa vision de la guerre . Celle-ci serait une catastrophe accidentelle, issue de la perversion des mœurs en société. Elle ne serait pas le fruit de la méchanceté des hommes mais de la volonté de chaque État d'assurer sa conservation dans un rapport de forces entre les puissances.

Un peu à la manière de Kant plus tard dans son Projet de paix perpétuelle, Rousseau réfléchit aux principes nécessaires à l'instauration d'une paix durable, voyant dans la guerre non seulement des combats effectifs mais aussi une hostilité constante, et dans certaines formes de paix asservissantes des conflits mal enterrés. Le droit semble donc devoir remédier à ce qui est un état de guerre, la morale seule ne permettant plus de guider les hommes vers la paix que les qualités originelles des hommes favorisaient.

Au-delà de ces considérations générales sur l'existence des guerres et leurs causes, Rousseau entend fonder un droit dans la guerre précis, en s'émancipant de certaines traditions trop complaisantes à l'égard des crimes commis en raison de prétendues causes justes - on songe notamment à Grotius et la justification qu'il donne de l'esclavage en temps de guerre. Les prisonniers deviennent intouchables une fois désarmés, tandis que les pertes civiles sont évitables dans toute guerre. Tout comme le civil doit être distinct du soldat, le guerrier désarmé redevient un simple homme.

Rousseau dénoncera à cette occasion ce qu'il nomme la guerre des brigands, reposant sur des passions criminelles et l'avidité. Il reproche par ce biais à certains auteurs comme Grotius d'avoir tenté de justifier tous les moyens dont on fait usage en temps de guerre, au nom du rétablissement  d'un certain droit, d'une défense contre une attaque extérieure.

Pourtant, et c'est là son originalité, Rousseau ne se revendique pas d'un pacifisme total. De fait, le citoyen tel qu'il se le représente est également soldat. Ce citoyen qui doit tant à son pays a le devoir de le défendre autant que sa propre vie. C'est selon lui le prix d'une liberté qui doit parfois être protégée, sauvegardée ou reconquise.

 

Et c'est d'ailleurs autour de cette notion que repose la cohérence de l'ouvrage : il s'agit de lutter contre le droit du plus fort, maître en temps de guerre, pour restaurer la paix par des conventions et des pactes librement consentis.

Anna Faivre.