Xavier Pavie, Le choix d'exister, Les Belles Lettres, 2015, lu par Cyril Morana

Xavier Pavie, docteur en philosophie, chercheur associé à l’IREPH (Institut de recherches philosophiques de Paris X) et professeur à l’ESSEC, poursuit ici une entreprise philosophique inaugurée voici quelques années par un travail de recherche sur les exercices spirituels (on peut se reporter ici aux différentes recensions de ses ouvrages passés sur le site de l'Oeil de Minerve). Avec Le choix d'exister, sous-titré "Se convertir à une vie meilleure", l'auteur nous propose un parcours à la croisée des chemins de la philosophie et du développement personnel, à partir d'une réflexion, non religieuse et directement inspirée de Pierre Hadot, sur la notion de "conversion".

L'essai de Xavier Pavie se compose d'assez courts chapitres, immédiatement accessibles en termes de contenu et qui se présentent comme une progression en direction d'un art de vivre qui consiste à sculpter sa propre existence, à se faire l'artisan de nous-même pour vivre mieux, ce qui implique purement et simplement de se convertir. Mais à quoi et pourquoi?

L'ouvrage s'ouvre sur le constat que nous sommes nombreux à rêver de changer de vie, une vie que nous n'aurions pas vraiment choisie, tant les divers déterminismes qui pèsent sur nos existences nous ont dépossédé de notre être. On retrouve immédiatement des accents sénéquiens sous la plume de X.Pavie, Sénèque dont l'ombre plane sur de nombreuses pages de l'essai: nous avons les moyens d'exister pleinement et de nous épanouir, mais nous nous sommes laissés enfermer, aveugler. Il va donc s'agir de nous convertir, tourner le dos à cette existence frustrante, soucieuse et anxiogène, pour mieux devenir maître de soi, tout en occupant une place dans le monde, celle qui, au fond, nous est destinée. Le retour à soi qu'accompagne une nouvelle manière de penser, tel est ce à quoi X. Pavie nous invite. Cette conversion n'est donc pas religieuse mais philosophique, et elle implique des exercices spirituels, thème cher à l'auteur, qui, dans le sillage de Pierre Hadot, nous en propose des exemples. Ce retour à soi ne peut immédiatement être opéré en autonomie: le besoin d'un maître, d'un guide, est indépassable, tant nous sommes aveuglés sur notre véritable condition. Ce maître est le porteur d'une parole de vérité (théorie) dont il est l'incarnation en propre (pratique); nous avons, dans un premier temps, besoin de modèles.

La conversion implique un retour à soi, avons-nous entrevu, aussi la question de la connaissance de soi s'impose: cette connaissance de soi est-elle bien nécessaire à l'apprenti, au disciple, qui souhaite changer de vie? Elle va sans doute de soi, mais avant tout, c'est le soin de soi qu'il convient de mettre en oeuvre. Prendre soin de soi, c'est avant tout connaître ses devoirs, prendre de conscience de sa place dans l'économie cosmique pour mieux s'engager harmonieusement dans l'existence. Prendre soin de soi est un choix de vie qui requiert une certaine ascèse, d'où les exercices spirituels et la méditation nécessaires à l'établissement d'une vie intérieure authentique. De beaux passages simples sont proposés sur l'art de converser avec soi-même, l'exploration de soi et sur le sentiment d'immensité.

Puis, c'est au tour du corps d'être soumis à l'examen. L'auteur veut remettre en cause la tradition dualiste qui oppose l'esprit et le corps, cet "ensemble de matériaux" qui est aussi une conscience incarnée: nous sommes invités à réfléchir à nos gestes les plus anodins, les plus quotidiens, à leur donner un sens pour mieux se rapprocher de nous-même. Cette exigence implique aussi de repenser notre manière de nous alimenter: on le constate, à l'image d'un Épicure, médecin de l'âme comme du corps, c'est une hygiène globale que Xavier Pavie propose à son lecteur. On peut, à cet égard, lire alors des considérations très concrètes sur le régime alimentaire et, notamment, le végétarisme, qui s'appuient notamment sur le pythagorisme originel. L'ascèse corporelle implique l'inscription de soi dans l'écosystème, la communion avec la nature. Xavier Pavie, qui est par ailleurs un athlète, peut ainsi faire l'apologie de la marche, moyen exemplaire de communion avec la nature mais aussi avec soi puisque l'occasion magnifique de méditer devant le spectacle de monde, être au monde tout en étant devant lui pour ainsi dire. La sexualité est aussi considérée, notamment à travers le prisme foucaldien, puisqu'il s'agit de rompre avec l'obsession d'un sexe considéré comme unique pourvoyeur de plaisir.

À cette étape de la réflexion, nous sommes prêts pour l'ouverture sur le monde: c'est précisément l'oeuvre de l'éducation, dont l'auteur nous propose une analyse à travers une réflexion sur l'art comme outil de conversion à soi. L'art nous apprend à comprendre mais aussi à transformer le monde, et par conséquent, notre monde. X. Pavie s'appuie notamment sur le travail de Merleau-Ponty sur Cézanne ainsi que sur la figure de Picasso. Une réflexion sur l'expérience esthétique, sur le ressenti, amène à sérieusement considérer l'art comme un moyen privilégié d'accès à soi mais aussi de bouleversement de soi. Il s'ensuit, après coup, des considérations plus globales sur le savoir en général, qui, puisque c'est le fil conducteur de l'ouvrage, ne doit pas être cultivé pour lui-même au risque de ne rester que théorique, mais doit servir à conduire des pratiques, une existence éclairée.

Alors, nous pouvons enfin nous ouvrir à autrui. L'amitié est un moyen exemplaire pour parvenir à exister pleinement à travers l'autre sans pour autant lui être asservi. Les accents épicuriens abondent, l'espace communautaire est envisagé comme le lieu nécessaire à l'accès à la sagesse, il implique une certaine distance par rapport au flux désordonné et déstabilisant de la société: puisqu'il faut rester maître de soi, il convient de n'obéir qu'à soi-même, sinon aux êtres qu'on a élus en tant qu'amis ou maîtres. La conversion est un exercice au sens propre, il implique un effort constant qui pourrait dérouter les moins motivés. Au fond, la sagesse se mérite, pourrait-on dire, elle n'est pas à la portée du premier venu: nous avons le choix entre le repos ou l'existence authentique, il reste à bien choisir.

L'ouvrage s'achève par une série de maximes, à la manière d'Epicure, qui sont autant d'occasion de méditer les préceptes essentiels de l'ouvrage, tel un vademecum pour l'époque contemporaine, puisqu'il s'agit de bien vivre ici et maintenant.

Disons-le clairement, Xavier Pavie ne propose pas une révolution philosophique: l'essentiel est déjà connu, ne serait-ce que par le biais de ses précédentes publications. Mais est-ce bien là l'objet de son travail? Nous l'envisagerions plus rigoureusement si nous le comprenions comme la volonté de proposer une synthèse accessible de sagesses pratiques, directement issues de l'héritage antique, dans le but d'en montrer la pertinence et l'actualité, mais aussi, sans doute, l'accessibilité. L'ouvrage n'a guère d'autre prétention: il ne jargonne jamais, il s'adresse à tous et en particulier au néophyte (il faut se hâter de philosopher, à tout âge et de toute condition), c'est donc aussi un ouvrage de vulgarisation en même temps qu'une réflexion pleine de bon sens. À cet égard, c'est une manière exemplaire de philosophie populaire.

Cyril Morana