Tobie Nathan, Psychanalyse et copulation des insectes, éditions Mille et une nuits, 2013, lu par Évelyne Rognon



Chers lecteurs, chères lectrices, 

 

Les recensions paraissent et disparaissent très vite ; il est ainsi fort possible que certaines vous aient échappé en dépit de l'intérêt qu'elles présentaient pour vous. Nous avons donc décidé de leur donner, à elles comme à vous, une seconde chance. Nous avons réparti en cinq champs philosophiques, les recensions : philosophie antique, philosophie morale, philosophie esthétique, philosophie des sciences et philosophique politiques. Pendant cinq semaines correspondant à ces champs, nous publierons l'index thématique des recensions publiées cette année et proposerons chaque jour une recension à la relecture. Au terme de ce temps de reprise, nous reprendrons à notre rythme habituel la publication de nouvelles recensions. 

Recensions d'ouvrages portant sur l'histoire de la philosophie 

Recensions d'esthétique 

Recensions de philosophie politique

Recensions de philosophie antique

Recensions de philosophie morale

Recensions d'épistémologie 

psychanalyse, sociologie

Tobie Nathan, Psychanalyse et copulation des insectes, éditions Mille et une nuits, mars 2013.

L'auteur veut montrer que les animaux sont bien davantage que les sciences, ou même les mythes, ont pu concevoir. Les insectes ont produit des stratégies d'existence, et ont réussi à les maintenir par la création de formes originales de sexualité. En agrandissant notre monde, en regardant les pratiques des espèces les plus éloignées de nous, nous pouvons améliorer la compréhension de nos propres fantasmes, et en particulier porter un regard neuf sur la relation psychanalytique.

 
  1. Objectif de l'ouvrage :

Ce texte est paru une première fois il y a 33 ans, en 1979, sous le titre La psychanalyse et son double. Une deuxième édition parue en 1983 s'intitule Psychanalyse et copulation des insectes : les fantasmes sexuels dans les transferts psychanalytiques et la copulation des arthropodes. La réédition proposée aujourd'hui par les éditions Mille et une nuits, dans un petit format très accessible et plaisant, adopte un titre plus vendeur, mais reste un ouvrage de psychanalyse, comme le sous-titre le rappelle.

Dans une préface inédite, Tobie Nathan précise son projet : montrer que les animaux sont bien davantage que les sciences, ou même les mythes, ont pu concevoir. Les insectes ont produit des stratégies d'existence, et ont réussi à les maintenir par la création de formes originales de sexualité. En agrandissant notre monde, en regardant les pratiques des espèces les plus éloignées de nous, nous pouvons améliorer la compréhension de nos propres fantasmes, et en particulier porter un regard neuf sur la relation psychanalytique.

 

  1. Plan de l'ouvrage

Préface de 2013

Introduction de 1979

Introduction de 198 »

  1. Psychisme et réalité
  2. Transfert et pratique psychanalytiques
  3. Le mode suivant lequel s'établit la relation
  4. L'espace transitionnel
  5. Le symbolisme ou « la valse des organes »
  6. La relation fusionnelle

Conclusions

 

  1. Analyse de l'ouvrage :

L'introduction à la première édition invite à revenir au matérialisme de Freud. Tobie Nathan trouve que la psychanalyse subit une dérive métaphysique, et insiste sur la nécessité de revenir aux choses même : « Aucune théorie ne vaut assez pour qu'on lui sacrifie un atome de réalité » (p. 22)

A l'inverse, l'introduction à l'édition de 1983 prend acte d'une profonde transformation de la problématique psychanalytique, d'une percée de l'empirisme naïf. Nathan insiste sur la richesse d'un apport pluridisciplinaire.

 

  1. Psychisme et réalité :

Comme Georges Devereux, Tobie Nathan affirme la nécessité pour la psychanalyse de rencontrer une « butée réelle », c'est-à-dire prendre acte du caractère limité bien que vaste des fantasmes, et chercher dans un domaine de culture éloigné les équivalents de ces fantasmes.

 

  1. Transfert et pratique psychanalytiques :

La psychanalyse doit constamment s'adapter aux variations culturelles de la symptomatologie psychopathologique. Le transfert, sans lequel la relation psychanalytique n'existe pas, n'échappe pas à ces variations. Du coup, Nathan reformule son objectif :

« J'ai tenté d'établir un parallélisme entre les différents types de copulation chez les invertébrés et les différents types de transfert », ce qui peut permettre de prouver que « l'éthologie peut être considérée comme une butée réelle de la psychanalyse » et d'établir « un répertoire des transferts psychanalytiques possibles » (p. 36-37).

 

  1. Le mode suivant lequel s'établit la relation :

-      Le viol : La punaise mâle possède un pénis en forme de sabre grâce auquel il va percer le corps de la femelle et y déposer sa semence. Ce mode de copulation correspond à un fantasme sexuel inconscient de viol, propre aux hommes comme aux femmes, et revécu dans la relation psychanalytique par le patient comme par le thérapeute.

-      La castration : Par ailleurs, Freud a montré que la relation avec les patients hystériques s'établissait sur le mode de la castration, et que l'hystérie trouve son origine dans des fantasmes de bisexualité, ce qu'on retrouve dans la vie sexuelle de l'abeille-reine et des pycnogonides.

-      L'agressivité : Chez les héléidés, pour qu'un mâle puisse féconder une femelle, il faut qu'il soit attaqué, tué et dévoré par elle. Dans certaines manifestations de violence extrême, on rencontre chez le patient la certitude que la rencontre avec autrui ne peut pas avoir d'autre forme ni d'autre sens que la mort.

-      La perte d'identité : Devereux a montré que la perte (ou le changement) d'identité est parfois une défense contre une menace plus radicale encore d'anéantissement : le fait d'être une personne entraînerait la mort par dévoration. Ce fantasme trouve son équivalent exact chez de nombreuses araignées, où la femelle dévore le mâle après la fécondation. Le mâle essaie de changer cette issue fatale, soit par la pratique du cadeau (nourriture par exemple), soit par l'usage de spermatophores, qui permettent la fécondation sans contact ni même rencontre entre les partenaires.

 

  1. L'espace transitionnel :

« Avec certains patients, il nous arrive d'avoir l'impression que la relation directe sera trop brutale, dangereuse ou déstructurante. » Nathan va observer chez les insectes un équivalent d'objet transitionnel, un objet externe dont la fonction est la médiatisation de la rencontre, « un moyen terme entre dedans et dehors » (p. 87).

 

  1. Le symbolisme ou « la valse des organes » :

On observe chez les libellules la capacité à transférer la fonction sexuelle d'un organe à un autre, distinct de lui dans ses fonctions originelles. Ce comportement peut être considéré comme le prototype biologique du symbolisme humain.

 

  1. La relation fusionnelle :

L’étude des pratiques sexuelles des invertébrés permet de distinguer quatre types de relations fusionnelles :

-       L’enfermement des deux partenaires dans un espace clos ;

-       Un partenaire qui vit en parasite sur le corps de l’autre ;

-       Un partenaire qui vit en parasite dans le corps de l’autre ;

-       Les deux partenaires fusionnent pour former un être nouveau différent.

Ces quatre formes de relation fusionnelle se rencontrent aussi en clinique.

 

Ce petit livre (125 pages) est à la fois amusant, par la découverte des pratiques sexuelles des différents types d’invertébrés, mais aussi très instructif, car il éclaire la recherche en psychanalyse d’une façon originale. C’est aussi un texte marquant de l’histoire de cette discipline.

Évelyne Rognon