Karine Wurtz, Crimes de guerre – L’apport des théories morales de la responsabilité, Classiques GARNIER, 2014, lu par Lény Oumraou

Chers lecteurs, chères lectrices, 

 

Les recensions paraissent et disparaissent très vite ; il est ainsi fort possible que certaines vous aient échappé en dépit de l'intérêt qu'elles présentaient pour vous. Nous avons donc décidé de leur donner, à elles comme à vous, une seconde chance. Nous avons réparti en cinq champs philosophiques, les recensions : philosophie antique, philosophie morale, philosophie esthétique, philosophie des sciences et philosophique politiques. Pendant cinq semaines correspondant à ces champs, nous publierons l'index thématique des recensions publiées cette année et proposerons chaque jour une recension à la relecture. Au terme de ce temps de reprise, nous reprendrons à notre rythme habituel la publication de nouvelles recensions. 

Recensions de philosophie morale.

Index des recensions de philosophie antique.

En vous souhaitant de bonnes lectures, recevez nos très cordiales salutations, 

L'équipe de l'Oeil de Minerve



L’ouvrage de Karine Wurtz n’aborde qu’indirectement la question de la définition des crimes de guerre. Le problème central est ici davantage celui de l’imputabilité de ces crimes.

 

           L’introduction s’ouvre sur un exemple qui résume assez judicieusement les questions qui, par la suite, seront traitées de façon théorique. Il s’agit du massacre de My Lai, perpétré contre des civils par des GI de la Charlie Company, en représailles de l’offensive du Têt, pendant la guerre du Viêtnam. K. Wurtz rappelle qu’à la suite de ces événements, un seul individu (le lieutenant William Calley) a fait l’objet de poursuites, celles-ci aboutissant cependant, après plusieurs appels, à une peine dérisoire d’assignation à résidence. Ce qui conduit à poser un certain nombre de questions, qui seront reprises à de multiples niveaux au cours de l’étude : à qui  imputer les crimes de guerre (ni les hommes qui étaient sous les ordres de Calley, ni ceux auxquels il obéissait lui-même n’ont été inquiétés), comment constituer cette imputation, et dans quel but ?   

            L’introduction précise, en outre, la relation complexe entre imputabilité et responsabilité. L’imputation peut être objective ou subjective. L’imputation objective relève de la causalité, et appartient au domaine civil ; dans ce domaine, le responsable est avant tout celui qui doit réparer un dommage, et déjà apparaît ici un hiatus entre imputabilité et responsabilité ; d’une part, le responsable d’un dommage (celui qui doit réparer) n’est pas toujours celui à qui il est causalement imputable (comme le montre l’exemple des parents, responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs). D’autre part la cause du dommage peut être identifiée à la cause prochaine ou à la cause première. Appliquée au cas des crimes de guerre, la question revient à se demander si le crime doit être imputé aux exécutants ou aux donneurs d’ordre. Cependant, le cas des crimes de guerre n’appartient plus au domaine civil, mais au domaine pénal. Dans ce cadre, le responsable est moins celui qui doit réparer un dommage, que celui qui doit subir une peine. On est alors dans le domaine de l’imputation subjective : il ne s’agit pas seulement de trouver l’origine causale d’un acte, mais de déterminer si ceux qui ont agi l’ont fait « en dehors de toute contrainte », et « en toute connaissance de cause ». L’intention des acteurs doit alors être prise en compte.

            C’est à ce point que K. Wurtz énonce la décision méthodologique qui commande toute la démarche de l’ouvrage : attendu que le but de l’imputation est, in fine, de déterminer des responsabilités, c’est en partant des théories de la responsabilité qu’elle se propose de résoudre le problème de l’imputation des crimes de guerre. Et ce ne sont pas seulement les théories de la responsabilité juridique qui seront ainsi mises à contribution, mais aussi les théories de la responsabilité morale : du point de vue juridique, le responsable est celui qui doit réparer, ou subir une peine ; du point de vue moral, il est celui qui doit être blâmé ou loué. K. Wurtz fait ainsi le pari que les théories morales de la responsabilité peuvent permettre d’éclairer la question de l’imputabilité des crimes de guerre. C’est le sens du sous-titre de l’ouvrage.

            L’étude se compose de quatre parties. Dans la première, l’auteure se demande dans quelle mesure la responsabilité de ceux qui ont décidé la guerre peut être engagée dans la commission des crimes de guerre par ceux qui font la guerre. Et si une telle responsabilité des décideurs doit être reconnue, quelle influence a-t-elle sur la responsabilité des exécutants ? La partie est divisée en deux chapitres ; le premier, intitulé « Entrée en guerre et participation à la guerre », aborde ces questions de façon neutre, c’est-à-dire sans juger moralement de la justice de la guerre. Le second, « Jugement moral porté sur la guerre », se demande dans quelle mesure le fait de considérer qu’une guerre est juste ou non peut modifier le jugement sur les crimes de guerre, voire la définition de l’extension de ce concept.

            Dans le premier chapitre, K. Wurtz distingue deux positions possibles : selon la première, ceux qui décident la guerre et ceux qui la font sont également responsables de leurs actes, de sorte que la responsabilité des uns ne peut, en principe, atténuer celle des autres (on parle alors de responsabilités parallèles) ; pour la seconde, la responsabilité des décideurs est susceptible d’atténuer celle des exécutants. L’auteure discute les arguments en faveur de ces deux positions. Deux questions sont plus particulièrement abordées : d’une part, celle de la contrainte - le soldat s’engage-t-il volontairement, et en connaissance de cause, ou est-il contraint de s’enrôler ? -. Dans ce dernier cas, dans quelle mesure peut-on le tenir pour responsable de ses actes ? D’autre part, la question de la fortune morale - la notion de « moral luck », forgée par Bernard Williams en 1986 - : dans quelle mesure doit-on prendre en compte l’intervention du hasard dans la commission des crimes ? Par exemple, est-il juste de blâmer celui qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, alors qu’un autre, qui ne s’est pas trouvé dans ces circonstances, aurait peut-être agi de même ? K. Wurtz s’appuie sur l’analyse que Nagel a donnée de la fortune morale, dont il distingue quatre types (Moral Questions, 2006).

            Concernant le problème de la contrainte, l’auteur conteste (non sans malentendu) la conception de Sartre, qui tend à nier l’idée même d’une contrainte pure, le soldat ayant toujours la possibilité d’agir autrement, ne serait-ce qu’en recourant au suicide, de sorte que l’exécutant, quelle que soit la menace qui pèse sur lui, est tout autant responsable que le décideur. Pour K. Wurtz, si le déserteur est menacé de mort, et dans la mesure où « il serait contre-nature de reprocher à un être vivant son instinct de conservation » (p. 41), il ne choisit pas la guerre en refusant la mort, et la concordance entre sa non-mort et la guerre lui a été  imposée, ce qui justifie qu’on le dise « contraint ». Pour autant, il n’en est pas dédouané quant à sa responsabilité dans la commission de crimes de guerre, car « la conscription obligatoire n’a jamais contenu par principe l’obligation de commettre des crimes de guerre et demande au contraire d’en respecter les lois » (Ibid). Pour renforcer cette remarque, K. Wurtz s’appuie sur l’analyse du principe des partis contraires (selon lequel on n’est pas moralement responsable si l’on agit uniquement parce qu’on ne pouvait faire autrement) donnée par Harry G. Frankfurt, ainsi que sur les thèses de Brian Rosebury dans « Moral responsibility and Moral Luck » (1994), soutenant qu’il est de la responsabilité de chacun de développer les compétences épistémiques susceptibles d’éclairer ses choix. Il serait alors de la responsabilité du soldat non seulement de connaître les limites de ses droits, mais aussi de se préparer aux horreurs de la guerre ; car c’est bien à un risque moral de « modification de personnalité » qu’il s’expose, et K. Wurtz conclut ces analyses en reconnaissant toutefois que « la guerre peut être plus forte que les meilleures volontés » (p. 45). Celui qui a décidé la guerre ne doit-il pas porter la responsabilité de ce risque qu’il a fait prendre à ceux qui la font ?

            La question de la guerre juste, abordée dans le second chapitre de la partie, souligne, d’un autre point de vue, le lien établi entre les décideurs et les exécutants. Après avoir jugé deux « postures » comme non pertinentes - le réalisme, parce qu’il considère l’état de guerre comme naturel entre les États et ne s’en remet qu’au droit positif pour déterminer ce qui relève d’un crime de guerre ; le pacifisme radical, parce qu’en faisant un crime de la guerre elle-même, il ôte toute signification à l’idée même de crime de guerre -, K. Wurtz examine les retombées de l’hypothèse de la guerre juste sur la question de la responsabilité. Le pacifisme conditionnel rejette le recours à la guerre, excepté dans certaines conditions, où la guerre est justifiée. Il s’agit de savoir si une guerre juste peut aussi justifier certains actes, qui seraient illicites dans d’autres circonstances. Peut-on alors considérer le champ de la catégorie de crime de guerre comme étant relatif ? K. Wurtz est ainsi amenée à examiner la relation complexe entre le jus ad bellum (les règles qu’il faut respecter quant aux raisons de faire la guerre) et le jus in bello (les règles qui doivent être respectées quant à la manière de se conduire au cours de la guerre). Elle commence par rappeler l’évolution de la conception de ces règles, dont elle repère deux moments principaux : la théorie classique de St Thomas d’Aquin, et l’ouvrage de Walzer, Just and Injust War, de 1977. Elle entrevoit, dans les positions en jeu, l’expression d’une tension entre déontologisme et utilitarisme, alternative qu’elle se propose de dépasser. Plus pertinente lui paraît, en effet, l’opposition du point de vue individualiste à un point de vue collectiviste, qui sera étudié de façon plus approfondie dans la deuxième partie de l’ouvrage.           

            Cette deuxième partie aborde de front la question de la perspective collective. Comme on l’a vu, ceux qui décident la guerre « ne sont pas pour rien » dans la commission de crimes de guerre, même si le droit ne les prend pas en compte ; leurs responsabilités apparaissent du point de vue moral, et il s’agit de déterminer si cela peut avoir une incidence juridique.

            Dans un premier temps, K. Wurtz analyse le cas du génocide, en tant que « crime éminemment collectif » (p. 88), et se demande ensuite si l’on peut appliquer les mêmes conclusions au crime de guerre en général. Dans le cas du génocide, toute la difficulté est de concilier le principe d’individualité des peines (chacun doit payer pour ce qu’il a fait, rien de moins, et rien de plus) avec le caractère collectif de l’acte : le crime génocidaire se distingue, par exemple, du « simple » crime raciste en ceci que le génocidaire a conscience que d’autres crimes semblables sont en cours de commission, de sorte que c’est moins le nombre de ses victimes que son intention, au moment de crime, qui en fait la nature (on peut participer à un génocide en ne tuant qu’un seul homme, et ne commettre qu’un crime raciste en tuant plusieurs hommes). Il est ainsi pertinent de distinguer l’actus reus (l’acte lui-même) et le mens rea (la conscience du crime). Un génocide n’est pas une addition de crimes. Il suppose une connexion entre les actes, connexion qui n’est pas nécessairement matérielle : K. Wurtz parle d’une « interaction morale ».

            Les crimes de guerre ont-ils aussi une dimension collective ? Il est clair qu’ils ne sont pas seulement des crimes commis pendant la guerre : ils sont commis en raison de la guerre, et non seulement à l’occasion de la guerre. K. Wurtz parle d’un lien de subordination entre guerre et crime. Se pose ici, d’abord, la question de la définition de la guerre. Il n’y a crime de guerre que s’il y a guerre, et le crime de guerre ne peut être commis que par des soldats, ce qui renvoie à un conflit entre deux collectifs ; mais en même temps, le crime de guerre constitue une déviation de cette action collective. Alors que le génocide est un système d’actes de génocide, on ne peut considérer la guerre comme un système de crimes de guerre ! Mais elle est collective en ce qu’elle repose sur une intention collective (la victoire) et une activité collective (militaire, mais pas uniquement, car c’est toute une économie qui se met au service de la victoire). Pour penser cette dimension collective, K. Wurtz a recours à l’analyse des rassemblements donnée par D. Anzieu et J.-Y. Martin, dans La Dynamique des groupes restreints.

            Dans les deux derniers chapitres de la partie, elle aborde la question de la responsabilité collective d’un point de vue résolument moral, puisque, juridiquement, la responsabilité ne peut être qu’individuelle. Toutefois, même du point de vue moral, la notion fait débat, et l’auteure rappelle les jugements divergents qui ont été portés à son égard, de H.D. Lewis, qui la considère comme « barbare », à J. Searle qui reconnaît l’existence de « We-intentions », irréductibles aux « I-intentions ». Ce sont particulièrement les analyses de J. Feinberg, dans son article « Collective responsability » qui seront mises à contribution dans la suite de la partie. Celle-ci s’achève sur un exemple qui annonce l’une des problématiques de la partie suivante. En comparant l’attitude du peuple danois, qui s’est massivement soulevé contre les persécutions des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, et celle du peuple allemand, se pose la question de la passivité : peut-on admettre une responsabilité pour ne pas être intervenu ? K. Wurtz rappelle, dans le cas de l’Allemagne, les analyses classiques de Jaspers, qui soulignent ce qui distinguait la situation des Allemands de celle des Danois.            

            Dans la troisième partie, K. Wurtz examine deux cas-limites : une fois acceptée l’idée d’une responsabilité collective, il s’agit de savoir jusqu’où elle peut être légitimement étendue. Les deux cas étudiés dans cette partie permettent d’aborder cette question de front. Ce sont, d’une part, la responsabilité pour non intervention, et, d’autre part, les actes à double effet.

            Du point de vue juridique, la responsabilité pour non intervention introduit une tension entre la souveraineté (qui s’oppose au droit d’ingérence) et les dispositions par lesquelles les États s’engagent à faire respecter le droit international. Dès lors qu’à l’impossible nul n’est tenu, le devoir d’intervention implique un pouvoir d’intervention ; et pour celui qui dispose de ce pouvoir, intervenir, c’est faire usage des moyens les plus efficaces dont il dispose (un pays qui se contente d’une condamnation verbale alors qu’il pourrait en faire plus ne sera pas dit « intervenir »). Le devoir d’intervention, s’il y en a un, serait donc proportionné à la force d’intervention. Mais suffit-il d’avoir cette force pour avoir le devoir d’intervenir ?

            Après avoir rappelé les raisons pour lesquelles Kant s’opposait à un droit d’intervention, K. Wurtz constate que si, en revanche, la majorité des auteurs reconnaissent ce droit (les cas de Hobbes et Grotius sont, notamment, mis en avant), ils n’en vont pas jusqu’à admettre un devoir d’intervention - l’auteure  conteste, en particulier, l’usage que Joseph Boyle fait des critères thomistes de la guerre juste - pour justifier un devoir d’intervention ; mais aussi les thèses de Clara Bagnoli, qui fait de l’intervention humanitaire un devoir strict, parfait (« Humanitarian Intervention as A Perfect Duty »). Pourtant, tout en affirmant qu’un tel devoir nierait le droit à la neutralité et à la paix, K. Wurtz se demande si la neutralité ne consiste pas, finalement, à être systématiquement favorable au plus fort ; et si le fait de laisser un État en agresser d’autres est vraiment la meilleure manière d’œuvrer pour la paix…

            Dans la considération des crimes de guerre, les dommages collatéraux sont des exemples types d’actes à double effet : que faire lorsque la visée d’un objectif militaire stratégique conduit inévitablement à la mort de civils ? On est, en principe, responsable des conséquences prévisibles de ses actes ; est-on alors responsable de l’effet conjoint d’un acte que l’on a projeté, du seul fait que l’on a prévu cet effet ? Ou faut-il traiter autrement ce qui est prévu que ce qui est projeté ? C’est St Thomas d’Aquin qui a introduit la problématique du double effet, dans le cadre d’une discussion de la légitime défense, pour laquelle il soutenait qu’il suffit que l’effet conjoint soit représenté pour qu’il soit lui-même voulu. Mais J. Bentham défendait, au contraire, une distinction entre « l’intention directe » et « l’intention oblique », et K. Wurtz rappelle l’usage qu’en a fait Philippa Foot, dès 1967 - on en connaît les développements autour du fameux « problème du tramway » -. Encore une fois, l’auteure s’appuie sur les analyses de Walzer qui apporte une critique à la doctrine du double effet : selon lui, il ne suffit pas que l’effet conjoint ne soit pas recherché pour lui-même ; on doit aussi avoir l’intention de le réduire, de sorte que l’acte à double effet doit bien avoir une double intention.

            Le troisième et dernier chapitre de la partie est consacré à un thème commun aux deux cas limites qui ont été discutés, et qui permet ainsi d’en donner un traitement plus unifié : la différence entre tuer et laisser mourir - ou plus généralement, entre le fait de vouloir un mal et le fait d’y consentir -. K. Wurtz rappelle ainsi une partie de l’importante littérature qui s’est développée sur cette question, et applique, en particulier, l’analyse proposée par Bart Gruzalski dans « Killing by Letting Die » (1981) aux cas de la non intervention et du double effet.

            La quatrième et dernière partie de l’ouvrage aborde une question apparemment plus générale que les précédentes : il s’agit, pour notre auteure, de s’interroger sur le sens de la sanction, certes dans le cas spécifique des crimes de guerre, mais en commençant par rappeler les principes généraux par lesquels sont classiquement justifiées les peines. C’est ainsi que, dans le premier chapitre de la partie, K. Wurtz distingue deux grands types de théorie des sanctions et des peines : d’une part les théories rétributivistes, plutôt tournées vers le passé (le but est d’assurer l’effectivité de la loi), d’autre part les théories conséquentialistes, plutôt tournées vers le futur (vers les bénéfices que l’on pourra attendre de la sanction pour le contrevenant lui-même, ou pour la société, ou même pour la victime). Mais K. Wurtz défend une troisième position, qu’elle emprunte à Hegel, relevant d’une théorie de la peine comme réconciliation : le criminel est en contradiction avec lui-même, et la sanction le ramène à sa propre rationalité : la sanction est intégration.

            Le deuxième chapitre souligne les difficultés qui se présentent lorsque l’on tente de justifier les peines par les arguments classiques. Ces difficultés ont été reconnues par Hannah Arendt dans Responsabilité et jugement : comment prétendre remédier à la « déviance » du criminel de guerre, quand on lui reproche moins d’avoir désobéi à une loi que d’avoir obéi à un ordre ? Que devient le souci de la protection de la société, lorsque le criminel de guerre ne s’avère criminel que dans les circonstances extraordinaires de la guerre, mais ne présente pas de danger dans le cours ordinaire de la société ? Des questions du même ordre se posent si l’on se soucie de dissuader, ou de rétribuer.

            Se pose alors la question délicate de l’impunité. Il y a des circonstances, en effet, où le  souci de la sanction a des conséquences contre-productives. II peut constituer un frein à la réconciliation et au rétablissement de la paix. Problèmes d’autant plus aigus que les procédures, dans le cas des crimes de guerre, sont souvent très longues, ne serait-ce qu’en raison du nombre des dossiers à traiter. Mais l’impunité a aussi, de son côté, des effets indésirables, et ne permet qu’une pseudo-réconciliation. K. Wurtz remarque encore que le procès de Nuremberg avait du moins permis de développer la connaissance des faits, et loin de n’être qu’un procès de nazis, il fut le procès du nazisme. C’est pourquoi, dans l’esprit du principe de contre-impunité, mis en avant par J-P Brodeur, K. Wurtz préconise, sur ces questions, une approche contextuelle et conséquentialiste.

            L’ouvrage de K. Wurtz présente une analyse particulièrement détaillée des enjeux de la question de l’imputabilité des crimes de guerre. Les problèmes traités, la rigueur du propos, et un souci évident de clarté - manifesté notamment par les réguliers « bilans » qui terminent quasiment toutes les parties et sous-parties - en font une lecture assurément stimulante, en dépit des objections que peuvent soulever certaines positions de l’auteure.

Lény Oumraou