Euphorion, Œuvre poétique et autres fragments, Les Belles Lettres, 2012, lu par Karim Oukaci

Euphorion, Œuvre poétique et autres fragments, Paris, Les Belles Lettres, 2012.

Voici la première édition française de l'œuvre complet d'Euphorion de Chalcis. «Complet» n'est pas à prendre au sens propre, tant les fragments qui nous restent sont inconsistants - encore moins nombreux et encore plus mutilés que ceux de Callimaque, son grand devancier alexandrin.



Il était temps que le public français pût en prendre la mesure, après l'italien (Magnelli 2002) et l'anglais (Lightfoot 2009). L'édition du texte grec, la traduction et les commentaires philologiques sont le résultat d'un travail d'équipe réalisé sous la direction de B. Acosta-Hugues et C. Cusset : des membres de l'ANR CAIM y ont participé, aidés d'une quinzaine d'élèves de l'ENS Lyon.

Le livre comporte une rapide introduction, le recueil des témoignages antiques sur Euphorion (p. 2-19), ses propres fragments (localisés dans l'œuvre p. 22-139, de localisation incertaine p. 142-247, douteux p. 250-291 et deux épigrammes isolées p. 294-297), une bibliographie (p. 299-312), une table de correspondance et trois index (nominum, locorum et fontium - hors papyri). L'ensemble est très soigné, sans éviter les erreurs ordinaires (par ex., la numérotation des notes p. 85).

L'introduction rappelle que la lecture actuelle d'Euphorion, en grande partie indirecte et partielle, dépend de la réception très diverse qu'en eurent les littérateurs romains, de Cicéron qui l'accusa d'obscurité (Tusc. 3, XIX45 ; De div. 132-133) à Virgile qui en loua la poésie (Buc. X, v. 50). L'intérêt de l'œuvre, nous est-il dit, est en fait plus large que la simple question de l'alexandrinisme, puisqu'Euphorion fut aussi bien grammairien, historien et mythologue que poète esthétisant et élégiaque. La relation de la Souda le confirme d'ailleurs, en apportant des précisions sur la qualité quasi encyclopédique de son éducation : il suivit les cours du scolarque Lacydès, le successeur d'Arcésilas, et fréquenta au Lycée Prytanis de Caryste. Peut-être avait-il lu les Éléments d'Euclide (Lightfoot 1998). Certes, il fut l'éromène du poète Archéboulos ; mais «la mention d'Archéboulos, affirme avec humour la p. 3, n. 7, semble moins justifiée dans le domaine poétique que dans le domaine érotique». Sa poésie même comporte de multiples aspects, de l'épique à l'imprécatoire (les Chiliades chargeaient ses ennemis personnels et leur descendance d'oracles promettant un malheur s'étendant sur mille ans).

Le lecteur curieux de philosophie trouvera de l'intérêt à certains fragments. Le 45 nous informe sur les pratiques diplomatiques du Denys dont parle la Lettre VII : «Denys le Jeune, le tyran de Sicile, avait offert au prytanée des Tarentins un chandelier qui était capable de brûler autant de lampes qu'il y a de jours dans l'année». Le 193 : «Euphorion et Panétius ont dit avoir trouvé plusieurs débuts de la République». La p. 14, n. 33, cite l'article de Stefan Tilg (2006) sur la phrase de Cicéron où apparaît l'expression de «cantores Euphorionis» : «ces prôneurs d'Euphorion», dont Virgile se déclare l'ami, seraient les cercles épicuriens proches de Gallus (qui traduisit Euphorion en latin) et de Philodème de Gadara.

Quant à la qualité littéraire de l'œuvre, les fragments les plus longs l'attestent et font regretter vivement l'importance des pertes. Des vers inspirés d'Hésiode (37 C. Col. II, 43-46), tirés de son Thrace :

«(...) Pandore, donatrice de maux, peine volontaire pour les hommes.

Puisse <Arès> attribuer avec sa balance les prix

et ensuite, s'étant retiré de la guerre glaçante,

diriger vers les hommes Paix aux nombreux bœufs (...)».

Des vers inspirés d'Homère (78), tirés de son Philoctète (le berger Iphimaque se noie) :

«Et la mer le couvrit, lui qui désirait vivre, et les bras sur la crête de la vague apparaissaient, tendus, en vain (...)».

Comme l'a dit Gœthe d'un autre Euphorion (Faust II) : «Mortelle destinée !»

Karim Oukaci