G. Guilpain, Les célibataires, des femmes singulières. Le célibat féminin en France (XVIIe-XVIIIe siècle). L’Harmattan, lu par J.-J. Sarfati

G. Guilpain, Les célibataires, des femmes singulières. Le célibat féminin en France (XVIIe-XVIIIe siècle). L’Harmattan, Collection Questions contemporaines, 2012, 241 pages.

Les femmes célibataires doivent-elle être pensées de manière différente que les hommes qui se trouvent dans la même situation et le genre importe-t-il ici ?

Dans un style clair et accessible au plus grand nombre, Geneviève Guilpain nous confirme qu’il faut répondre par l’affirmative à cette question en dressant le portrait érudit de femmes singulières qui ont choisi le célibat entre le XVIIème et le XXIème siècle en France.

Outre une meilleure connaissance de la question spécifique dont il est question, la présentation de ces trajectoires de vies nous aide également à mieux comprendre celles qui sont nos compagnes, nos amies ou nos sœurs tout en comprenant celles qui ont choisi – ou subi – le célibat. Tel est en effet l’un des intérêts de cette étude : tournée vers des femmes célibataires singulières celle-ci contribue à une meilleure compréhension du mariage, de l’union libre, de la solitude et…de la liberté.

G. Guilpain l’écrit d’ailleurs au début de son texte

Il n’est jamais anodin de se savoir célibataire, encore moins de le vouloir et…à chaque époque, malgré les différences sociales, culturelles ou économiques, ce statut particulier a favorisé une réflexion sur leur identité ainsi que sur le fonctionnement social. (p. 17)

Les vies dont G. Guilpain nous entretient nous le montrent : ces choix ne sont pas anodins en ce sens qu’à chaque fois, ils signifient quelque chose aux autres femmes, aux hommes et à la société qui les entourent mais également à ceux qui, comme nous, n’ont pas vécu aux mêmes époques que les leurs.

Autrefois bannies par une certaine doxa, les femmes célibataires d’aujourd’hui sont célébrées par quelques journaux féminins qui évoquent les célibattantes en enfermant celles-ci dans une situation unique, une sous-case de la catégorie « femmes actives » elle-même mise en œuvre par nos sociologues contemporains.

Mais qu’en est-il réellement ? Ce statut est-il si enviable et si homogène qu’il y paraît ? Qu’est ce qui se dissimule derrière cette vie en solo et qu’est ce qui a pu inciter telle ou telle à faire ce choix de vie ? Le travail de G. Guilpain nous montre à quel point les motivations personnelles de chacune sont singulières et qu’il n’est pas un célibat mais plusieurs types de célibataires. Pour nous le montrer et nous aider à comprendre à quel point le divers est la norme en l’occurrence, celui-ci propose de faire retour en arrière afin de rencontrer des femmes qui ont choisi (ou subi) le célibat en France entre le XVIIème et le XXIème siècle.

Pour y parvenir, le texte - qui se refuse à juste titre à se prévaloir de la qualité d’étude historique ( ce qui est on ne peut plus juste pour un texte qui cherche avant tout à creuser la singularité de chacune des situations étudiées) - est divisé en quatre parties. Chacune d’elles présente des parcours singuliers en des moments donnés à partir desquels, une forme d’épistémé du célibat féminin s’esquisse malgré tout entre les lignes.

Le premier moment de l’ouvrage débute ainsi au XVIIème siècle. Il évoque le cas de celles que G. Guilpain appelle les pionnières d’un célibat laïc qui fait son apparition, notamment Marie de Gournay et de Gabrielle Suchon. Pour la première, le célibat fut un obstacle car il la priva d’un soutien familial mais il constitua également un aiguillon personnel qui lui permit de se contraindre à chercher une certaine reconnaissance sociale qui devait l’aider à se dépasser culturellement et personnellement nous précise l’auteure (p.41). G. Souchon, quant à elle, rejette le couvent et le mariage qu’elle met dos à dos afin de rechercher une situation tierce qui correspondrait plus volontiers à ses goûts et inclinations. Pour elle, le célibat est la marque d’une vie sans engagement (p.53). Il signifie déjà une forme d’affranchissement social et une liberté intellectuelle et morale.

La deuxième partie de l’ouvrage avance dans le temps pour aborder la période moderne et le XIXème siècle. En ce siècle qui encense la famille, G. Guilpain nous rappelle que le célibat est mal perçu. L’injonction à l’enfantement et à la maternité devient plus pressante qu’autrefois. La France se pense désormais comme une nation qui doit fabriquer de futurs soldats pour la défendre, la faire vivre et la nourrir. Face à cette pression sociale assez forte, quelques femmes résistent et leur idéal est porté notamment par le socialisme saint simonien qui émerge (p 65) ainsi que par un souci de dire autre chose que ce que qu’expriment les intellectuels au masculin.

Ces femmes veulent donc s’exprimer. Elles souhaitent également se libérer d’une emprise masculine dont elles pressentent peut-être qu’il mènera à la catastrophe. Elles entendent se libérer d’un mariage qu’il soit imposé ou non et qui confond le padre et le padrone. Comme l’indique G. Guilpain, l’une de ces militantes, Jeanne Deroin écrit ainsi, dans son Traité du célibat, les mots suivants :

Un jour j’ouvris le livre de la Loi et je lis ces mots : le mari doit protection à sa femme, celle-ci doit obéissance à son mari…Je ne reconnaîtrai jamais le droit du plus fort, jamais je ne donnerai mon adhésion à des principes que ma conscience réprouve. (cité p. 71)

Ce célibat est donc l’expression d’une conscience qui se révolte contre l’inique et Jeanne Deroin est l’une des singulières représentantes de ce célibat combatif moderne qui refuse de voir dans le mariage un contrat dans lequel l’un est considéré comme la propriété inaliénable de l’autre.

Derrière ce combat, ces jeunes femmes souhaitent également lutter contre ceux qui refusent que le mariage se réalise selon de libres inclinations et qui sont adeptes des unions arrangées (p.75). Certaines, comme Flora Tristan vivent le célibat comme un moyen, non seulement de se libérer des contraintes maternelles et conjugales mais aussi de se retrouver et de se construire dans une nécessaire solitude. D’autres comme Sophie Ulliac le jugent indispensable pour mener à bien une carrière littéraire et/ou artistique qu’elles estiment fondamentale pour la construction et la garde de leur être. Au début du XXème siècle, Claire Pic rejette également le mariage car, écrit-elle, 19 fois sur 20 celui-ci se solde par un échec. Claire Pozzi, quant à elle, fuit le mariage qu’elle considère n’être pour la femme qu’un lent processus de désappropriation de soi au profit du désir de l’autre. (p. 111). Le célibat moderne est donc ouvertement politique, social et libéral au sens noble de ces termes.    

La troisième partie de l’ouvrage poursuit l’étude historique pour nous plonger dans le XXème siècle et revenir sur le XIXème siècle finissant. La modernité s’est affirmée avec plus de force. Les choses ont désormais changé. Le célibat n’est plus seulement le fait de pionnières. En effet, comme le rapporte judicieusement G. Guilpain :

Ecrivaines, artistes, infirmières, professeures, assistantes sociales, doctoresses, ces nouvelles indépendantes inquiètent, interrogent parfois fascinent, héroïnes admirées ou honnies d’une joute littéraire qui oppose féministes et antiféministes. L’apologie de la maternité et de la famille…ne suffit plus à enrayer l’expansion du célibat ( p. 115).

Le célibat s’étend mais cette extension gêne encore tous les ennemis de la liberté vécue comme expression et vie de soi dans une singularité éprouvée. En conséquence, une figure de la honte et de tous les dangers émerge et est favorisée par le camp des grincheux. Celle-ci est incarnée par Monique Lherbier dans le roman de V. Margueritte, La garçonne. L’histoire du roman est celle d’une jeune femme qui se lance dans la débauche mais qui finit par retrouver le droit chemin après une existence que l’auteur dépeint comme malséante pour décourager sans doute les candidates au célibat. (p 117). Il faut édifier les jeunes filles qui voudraient s’égarer du droit chemin.

Toutefois, malgré cette pression une forme de célibat se développe peu à peu. Il n’obéit cependant pas toujours aux mêmes contraintes. D’un côté en effet, Geneviève Gulipain nous rappelle que cette époque de la massification devient celle d’un célibat populaire et souvent imposé, celui des domestiques et de ces jeunes filles que l’on destine à l’enseignement primaire. G. Guilpain nous rappelle ainsi que ces jeunes femmes :

Mal payées, exerçant en province, sont soumises à une surveillance morale qui perdure longtemps. C’est l’opinion plus que l’institution qui leur dicte le célibat. (p. 129)

Que dira-t-on de mademoiselle si elle reçoit un homme chez elle ? Sera-t-elle suffisamment disponible si elle prend époux ? Ce célibat ne peut se confondre avec celui des deux Simone ( de Beauvoir et Weil) que G. Guilpain a la judicieuse idée d’étudier conjointement sous un chapitre qu’elle intitule « philosophes subversives ». Ce choix singulier de vie de femme pour l’une et l’autre sera marqué par une « boulimie de savoir » (p. 145) et il influencera fortement les générations suivantes.

Ces deux intellectuelles nous conduiront ainsi tout naturellement vers une quatrième partie dans laquelle G. Guilpain interroge in fine le sort des femmes célibataires en ce 21ème siècle qui débute. Mai 68 est passé par là, la France a terriblement changée en termes de législation et de mœurs : l’union libre et les divorces deviennent une forme de norme dans certains milieux « bobos ». Le célibat regroupe désormais des situations diverses : de la femme divorcée, à la jeune femme soucieuse de vivre librement après de longues études avant de se mettre en couple, en passant par celle qui a choisi de vivre une vie sexuelle « différente », la veuve ou la personne pauvre et isolée.

Cette multiplicité de situations n’exclut pas les poncifs qui font leur retour sous d’autres formes et G.Guilpain note ainsi :

De même qu’à la fin du XIXème siècle, les malheurs de la vieille fille nourrissaient une prose littérairement rentable ; de même le thème de la célibataire sympathique et active maniant humour et autodérision afin de cacher son désarroi connaît un franc succès. (p. 178)

 Un salon des célibataires est désormais créé et son but est d’aider celles qui sont présentées comme souffrantes d’une telle situation. Dans un tel climat qui clame la détresse de la célibataire (qui n’est ainsi pas toujours la « célibattante » que l’on nous présentait), G. Guilpain note qu’il n’est pas étonnant que les célibataires se fassent discrètes malgré les déclarations tonitruantes de quelques journaux féminins évoqués plus haut. Elle nous rappelle que ces dernières, afin d’exister, prennent des détours, des voies indirectes, celle de la fiction, de l’éloge de la solitude, de l’amitié et nous l’avons vu, de la revendication d’un statut qui n’est pas aussi bien dessiné qu’il n’y paraît et qui dissimule de multiples et singulières trajectoires de vie. La dimension politique de la démarche (lorsqu’elle existe) est désormais gommée et seule une caricature pseudo-sociologique gouverne les esprits en enfermant les individues dans une ignorance de ce qu’elles sont et de ce qu’elles vivent réellement. Etablissant un tel constat, G. Guilpain s’interroge alors et à juste titre sur cette quasi censure qui n’existait pas dans les époques précédentes et pense judicieusement qu’une

Des raisons de cette disparition réelle ou symbolique par la réduction au silence est le durcissement manifeste de la normalisation sociale contemporaine. (p.188).

La remarque est forte mais malheureusement juste à nos yeux. En conséquence, l’auteure regrette que le célibat féminin, pourtant lourd de sens sociologique, politique et philosophique ne soit plus interrogé que sous une dimension privée et existentielle. Son dernier chapitre se présente donc comme un appel à la reconquête du célibat. Elle entend rappeler que celui-ci est avant tout affirmation d’un droit à se nommer, à exister, à vivre par soi-même (p.194) et qu’il y a en lui une dimension éthique nouvelle sur laquelle elle souhaite que nous revenions. Cette éthique nouvelle, écrit-elle

Résulterait d’un ordre politique et social différent ; d’autres lois, d’autres modes d’organisation sociale, plus respectueux de neutralité qui aideraient à transformer les relations que nous nouons à nous-mêmes et aux autres en les dégageant de l’emprise des assignations au sexe (la constituerait. Toutefois, avant qu’il advienne et)… en attendant la persévérance dans le célibat répond à une volonté de commencer à partir de soi cette métamorphose, d’opter pour une certaine façon de vivre sa liberté, de développer une culture distincte… (p. 220)

L’auteur de ces lignes ne peut que souscrire à un tel appel. Il y a de tous temps eu des hommes ou des groupes sociaux qui ont totalement ignoré la soif de liberté de certaines femmes que l’on cherchait par tout moyen à réduire au silence. Pour fuir ces individus et ces groupes qui niaient la part - non d’exceptionnalité précise G. Guilpain mais - de singularité (donc d‘humanité) de ces êtres que l’on pouvait tuer ainsi à petit feu, il importe effectivement de laisser à celle et à celui qui veut vivre dans le célibat le droit de le vivre en toute quiétude sans souci du qu’en-dira-t-on et en exprimant par lui-même les singulières raisons d’un choix qui peut parfois nous aider à réfléchir sur ce que nous sommes et faisons des relations hommes/femmes.

Il importe également de sortir des clichés sous-sociologiques qui tuent peu à peu la pensée et l’analyse dans ce pays et qui interdisent ainsi à nos concitoyens d’exprimer ce qu’ils sont et ce qu’ils entendent dire à la société afin que celle-ci s’ouvre un peu plus aux différences et cesse de nous faire croire en une prétendue ouverture qui n’est que le masque de cette normalisation galopante qui la caractérise de plus en plus comme G. Guilpain a raison de le noter.

Ce livre participe à sa manière à ce travail d’ouverture en aidant ces êtres qui ont opté pour le singulier en tous les sens du terme à vivre comme ils ou elles l’entendent en leur redonnant une voix. Liberté, liberté chérie…Telles sont les paroles oubliées d’un hymne national dont on ne retient le plus souvent que les premières paroles presque sanguinaires…

Fasse que d’autres voix s’élèvent dans notre pays pour permettre à chacun de vivre, non dans la licence, mais dans cette liberté que les ennemis de celle-ci, par pathologie grave, intérêt ou violence (acquise ou innée) souhaitent définitivement faire taire et étouffer.

Jean-Jacques Sarfati