Myles Burnyeat et Michael Frede, The Pseudo-Platonic Seventh Letter: A Seminar, 2015, OUP, lu par Karim Oukaci

Il aurait été difficile au professeur Dominic Scott, qui édite ces textes, de trouver un titre plus clair sur les conclusions qu'ils contiennent : la Lettre aux partisans de Dion ou pour être plus exact τος Δίωνος οἰκείνοις τε καὶ ἑταίροις serait selon toute vraisemblance un pseudépigraphe.

M. Burnyeat et M. Frede, par ailleurs connus pour l'érudition et l'intérêt de leurs commentaires sur Platon et Aristote, se posèrent la question de l'authenticité de cette septième lettre de la collection platonicienne lors du séminaire qu'ils tinrent à Oxford à l'automne 2001. Ce livre regroupe les interventions des deux auteurs, d'abord les cinq séances où intervint Frede, reconstituées à partir de ses archives et de notes d'auditeurs (p. 1-117), puis les trois séances de Burnyeat, reprises et réécrites sous la forme de deux articles (p. 119-195). Ces textes sont accompagnés d'une courte présentation générale où D. Scott expose la genèse et le contenu des différentes contributions (p. VIII-XIV). Une bibliographie sélective (p. 197-204), un index rerum et nominum (p. 205-212), suivi d'un index locorum (p. 213-224), s'ajoutent utilement à l'ensemble.

Frede ne considérait pas seulement que la Lettre VII était d'attribution douteuse. Il la tenait pour manifestement apocryphe. Et, contre l'hypothèse de son authenticité, il avançait deux arguments principaux.

Le premier, détaillé et développé tout au long des trois premières séances (p. 3-40), s'appuie sur l'existence d'une très importante production pseudo-épistolographique, assez ancienne pour remonter jusqu'au IIIème siècle, et si riche que l'on conserve aujourd'hui encore de prétendues lettres de philosophes aussi dissemblables qu'Héraclite, Socrate, Diogène, Apollonius de Tyane, etc. Frede s'arrête même un moment (p. 8-11) sur le recueil qui met en scène l'élève de Platon, Chion d'Héraclée, fils de Métris et tyrannicide : il compte dix-sept lettres, composées comme un véritable roman épistolaire. La deuxième séance (p. 15-25) s'attache avec plus de précision aux Lettres du corpus platonicum : Frede constate qu'il y a cause de suspicion dans le fait que les premières références à ces Lettres ne vont pas au-delà du Ier siècle et de la diffusion du catalogue de Thrasylle (Cicéron les cite en quatre endroits, dans ses lettres et ses traités ; Philodème également semble en connaître des extraits dans ses Academica) ; si d'autre part Aristophane de Byzance et Satyros de Callatis, que mentionne Diogène Laërce (III,9 ; III, 62), évoquent eux aussi, et avant Cicéron, des épîtres, peut-être d'ailleurs en partie différentes de celles que nous possédons, rien ne témoigne non plus en faveur de leur authenticité propre. La Lettre XII, à Archytas de Tarente, fait l'objet d'une étude rapide : elle permet de confirmer l'hypothèse de Zeller à son propos, à savoir qu'il s'agirait d'un faux de la seconde moitié du IIème siècle. Quant à la troisième séance (p. 29-40), elle examine avec la même sévérité la XXXème des Socratis et Socraticorum Epistulae, attribuée à Speusippe et adressée à Philippe de Macédoine, celle qui fera en 2004 l'objet de la publication de Natoli : Frede réfute la thèse de son authenticité et propose plus largement de voir dans les quelques autres éléments épistolaires reliés au neveu et successeur de Platon (chez Plutarque, Diogène Laërce, Athénée, etc.) les vestiges de recueils pseudépigraphiques de défenseurs et de contradicteurs plus ou moins talentueux de l'Académie.

Cependant, même si l'existence du genre épistolaire au IVème siècle et le succès des fausses épîtres aux siècles suivants sont loin d'être « une présomption en faveur de l'authenticité des Lettres de Platon », ils prouvent « du moins la possibilité d'une telle correspondance », comme le disait déjà J. Souilhé. Aussi, dans les deux dernières séances (p. 41-65), Frede trouve-t-il utile de corroborer le jugement d'inauthenticité par un second argument, l'inconsistance du contenu doctrinal de la Lettre, qui 1) réaffirme l'idéal du philosophe-roi en 326a7-b4, dans des formules très proches de la République V, 473c11-d6, mais censément à une époque où Platon - ce dont témoignent les Lois IX, 875d - a renoncé de façon explicite à cet idéal en choisissant « le second parti » ; et qui 2) applique aux personnages de l'histoire syracusaine, notamment Dion, des catégories que Platon lui-même n'aurait pu employer qu'avec la plus grande peine.

Au terme de cette première section, D. Scott fait une reprise rapide et en quelques rares points critique de ces cinq séances, intitulée « Editor's Guide » (p. 85-97). Il limite en partie la force de conviction du second argument de Frede, p. 95-96 : le passage 337c6-d8 présente une distinction qui pourrait être lue dans le sens d'une fidélité à l'esprit plus réaliste des Lois.

Dans la seconde section (p. 121-134), Burnyeat se montre d'abord, et ce n'est pas une surprise, plus que réticent à l'égard de la qualité conceptuelle de la fameuse digression philosophique (342a-345c) : il va jusqu'à dire que ce pseudo-Platon écrit là des lignes bien trop pseudo-philosophiques. « [La Lettre ] VII, affirme-t-il p. 122 avec une fougue qu'on aimerait trouver chez plus de commentateurs, n'a pas été rédigée par un philosophe, ni par Platon, ni par un élève de Platon, pas même par un philosophe critique de Platon. L'auteur est philosophiquement incompétent ». Le contenu de la digression est jugé comme plus qu'inconséquent, tout bonnement absurde. Il aurait pour cause une lecture erronée du Cratyle qui essaierait de retrouver la conclusion du Phèdre pour mieux désavouer un écrit qui circulait peut-être comme la transcription d'une conférence de Platon Sur le Bien. On retrouve ici les propos de Souilhé dans sa notice à la Lettre VII, mais en un sens renversé. Burnyeat note certaines particularités terminologiques et quelques légèretés par rapport au contenu des Dialogues qui tendraient à faire penser qu'en effet l'auteur de la Lettre VII était plus intéressé par la littérature que par la philosophie. « Se fût-il offusqué qu'on le lui dît, se demande alors Burnyeat ? Peut-être pas. Peut-être l'objet de sa surprise eût-il plutôt été que nombre de ses lecteurs, depuis l'Antiquité jusqu'aujourd'hui, aient pu le prendre pour un philosophe, et plus encore pour Platon lui-même » (p. 133).

Le deuxième article donne une « analyse littéraire » tout à fait brillante qui structure la Lettre VII sous la forme d'une tragédie en prose, avec prologue, trois actes et épilogue, « la tragédie de Platon - tragédie de ce qui arrive quand la philosophie tente de changer le monde » (p. 189). C'est un commentaire littéral passionnant, qui s'attarde sur les différentes traductions, dont celle de L. Brisson, qui s'efforce de résoudre les difficultés d'histoire et d'expliquer les faux problèmes de philosophie que suscite la Lettre. Un appendice final (p. 193-195) fait la liste des particularités stylistiques de ce texte, empli de répétitions et de tics de langage qui ne se retrouveraient pas dans le reste du corpus platonicien, même limité aux dernières œuvres.

On se rappelle que Brisson dans son édition corrigée des Lettres (1997) se montrait plus prudent que jamais, ne jetant le doute sur la thèse de l'inauthenticité de cette Lettre VII que pour affirmer la simple possibilité d'une attribution authentique. Le courage ou la témérité de la position à laquelle s'arrêtèrent Frede et Burnyeat en 2001 fait que, si cette question de l'authenticité est à l'évidence, dans les études platoniciennes, un thème usé et rebattu, la réponse qui est ici apportée est bien plus qu'intéressante ; elle est rafraîchissante.

 

K. Oukaci.