Faut-il avoir peur de l’homme providentiel ? Alexandre Dorna – Editons Bréal, 2012 (lu par Benoît Charuau)

Faut-il avoir peur de l’homme providentiel ? Alexandre Dorna, Éditions Bréal, 2012. 

Faut-il avoir peur de l’homme providentiel ?  Ou, plutôt, faut-il avoir peur du populisme et de son indispensable leader charismatique ? La question reste entière faute d’avoir fait l’objet – en Europe, du moins – d’études sérieuses. C’est que le populisme, aux composants plus émotionnels que théoriques, reste parqué parmi les thèmes honteux des sciences sociales et politiques. 

C’est aussi que le pathos de son discours ne rencontre que mépris et frayeur chez les élites. Faut-il avoir peur du populisme ? Alexandre Dorna aborde la question hors de ces passions. Analysant la mécanique populiste, il en interroge l’enracinement, les raisons, les causes et les conséquences. Cela, sans céder aux amalgames hâtifs (populisme-fascisme) qui empêcheraient de reconnaître dans le populisme une possible chance pour la démocratie.


En période de crise, le populisme se répand dans le monde, soutenu par des leaders charismatiques. Mais ce mouvement ne rencontre que l’opprobre d’une élite effrayée et la critique de « pseudo-intellectuels » qui méconnaissent l’Histoire et se méfient des appels au peuple. « Populaire », le populisme n’est-il pourtant pas conciliable avec la démocratie ?

Le populisme se nourrit aujourd’hui des malaises et des dérives de la société démocratique : confiscation des pouvoirs par une élite, machiavélisme des comportements politiques, sentiment de perte de l’identité nationale, pauvreté et injustices… Autant de dysfonctionnements qui, comme à d’autres époques, alimentent l’attente d’un leader susceptible de reconstruire l’identité perdue et de redonner un avenir. Le populisme est, en effet, un processus protestataire de masse répondant à l’appel d’un leader charismatique capable, par la démesure, la rhétorique, le contact direct et l’émotion, de faire écho aux déceptions et à la frustration de l’ensemble du peuple en nourrissant l’espoir d’un changement qui restaurera l’unité nationale perdue. Le néo-populisme ne fait, de ce point de vue, pas exception. Comme tout populisme, il ne se distingue que par les thèmes conjoncturels dont il s’empare (immigration, islamisation, chômage de masse, mondialisation, bureaucratie bruxelloise) et, surtout, par son usage des outils médiatiques les plus récents.

Le populisme est indissociable du phénomène charismatique, lequel peut croître quand le besoin de changement est aigu. Cela d’autant que le leader populiste sait concentrer les atouts du leadership transactionnel (qui favorise les échanges entre les suiveurs) et du leadership transformationnel (qui réveille les forces endormies). Sous sa forme accomplie, il sait diagnostiquer les situations de crise, permettre une co-construction d’un projet global, persuader au point de susciter l’identification et de produire des effets de masse. Catalyseur en période de turbulences, il permet le passage entre deux ordres. A ce titre, son opportunisme pragmatique est peut-être préférable à la gestion froide de quelques technocrates.

Habile, la parole populiste sait mêler toutes les fonctions du discours politique : idéologique, décisionnelle, pédagogique, thérapeutique, persuasive, propagandiste, identificatoire, prospectiviste. Son secret réside dans le choix de mots capables de réveiller des sentiments refoulés, des images frappant l’imaginaire et répondant aux attentes du moment. Sa force vient de ses racines idéologiques : de sa dénonciation du pouvoir injuste, du statu quo, du faux clivage droite/gauche et de sa promesse de dépassement. Elle sait adroitement s’adresser à l’hybris du peuple pour mieux en raviver les mythes fondateurs et en canaliser les efforts. 

Le populisme a trois ressorts sociologiques : le besoin d’intégration sociale, les poussées de la modernisation, les résidus nationalistes. Il agit comme « un mécanisme socio-politique » d’intégration nationale et d’adaptation à la modernité. Un mécanisme favorisé par le charisme d’un homme tissant les liens affectifs nécessaires à la mise en place de l’innovation, dressant les passerelles culturelles nécessaires à la fusion nationale. Ni doctrinaire ni programmatique, le populisme peut surgir partout. Sa clef de voûte est une interpellation critique dont le fond théorique se résume à trois composants : l’ethos, le pathos et le logos. Loin d’être une menace, le populisme peut être envisagé comme « une garantie de démocratie ». Une garantie car il en élargit les bases sociales et évite la réduction de la politique à une simple gestion. Son anti-élitisme confirme un républicanisme populaire qui le distingue radicalement notamment des systèmes fascistes. Sursaut démocratique ou ressourcement populaire, une transition populiste peut s’avérer souhaitable quand la société ou son régime dysfonctionne.

Mieux que le principe démocratique (qui ne protège pas des aveuglements de la majorité), l’idée républicaine exige un dialogue toujours renouvelé entre des êtres raisonnables ayant pour fin le mieux vivre dans une société juste. Si cette idée demeure notre horizon ultime, les populismes s’y soumettront. A charge pour la théorie politique d’en étudier la montée avec des outils et des critères révisés.

Le travail d’Alexandre Dorna a le mérite de son ambition : dégager le phénomène populiste du vide de réflexion qui l’entoure ; répondre aux émotions, qu’il mobilise, autrement que par le mépris et la peur ; quitter l’attitude élitaire qui, par sa méfiance à l’égard de ce qui parle au peuple, alimente à ses dépens le discours populiste. Si donc Alexandre Dorna parvient à introduire un peu d’intelligibilité dans le phénomène populiste, son analyse n’en reste pas moins obscurcie par un défaut de démarcation claire entre ce qu’il soumet, à juste titre, à la comparaison. Si le populisme a une dimension populaire, tout ce qui est populaire n’est pas populiste. Si le populisme implique le charisme d’un leader, tout leader charismatique n’est pas populiste non plus. Alexandre Dorna ne l’affirme pas mais il n’évite pas l’ambiguïté, laquelle est renforcée par l’énumération hétéroclite de figures historiques (de Moïse à Marine Le Pen, en passant par de Gaulle, Jospin ou Marcos). Son analyse est, par ailleurs, piégée par la nature même de son objet : à trop considérer la prééminence de la forme sur le fond, elle sous-estime l’impact des thèmes dont le néo-populisme s’empare opportunément. Que dire, par exemple, du thème clivant de « l’islamisation » dans la bouche d’un leader censé restaurer « l’unité perdue », permettre « la fusion » d’une nation laïque comprenant, entre autres, des citoyens musulmans ?

Benoît Charuau

Sommaire de l'ouvrage:

Introduction.

1. Les conditions d’émergence du populisme.

Les malaises de la société démocratique. / Les populismes historiques inachevés. /Les équivoques du populisme à la française. / Les point de fuite du néo-populisme.

2. Les élans charismatiques.

Le charisme : ses atouts en temps de crise. / Les visages des figures politiques charismatiques.

3. Les formes du discours charismatique.

Les traits forts de la parole persuasive charismatique. / Le discours à caractère populiste. /Des hommes et des discours néo-populistes.

4. Faut-il avoir peur du populisme ?

La mise en perspective du populisme français. / Quel est le bon usage du populisme ?

Conclusion.

Bibliographie.