Xénophane de Colophon, Œuvre poétique, Les Belles Lettres, 2012. Lu par Karim Oukaci.

Xénophane de Colophon, Œuvre poétique, édition, traduction et commentaires par Laetitia Reibaud, Paris, Les Belles Lettres, 2012. Lu par Karim Oukaci

   À prendre ce livre sous son aspect éditorial, c'est-à-dire comme la première traduction française de Xénophane face au texte grec, on y verra un ouvrage utile et nécessaire. Laetitia Reibaud, enseignant la littérature comparée en Sorbonne, a le mérite de s'être penchée sur un auteur dont l'œuvre, sans doute à cause de sa corruption, n'a pas éveillé un grand intérêt dans notre philologie, et dont la connaissance n'a que peu avancé de l'article de Paul Tannery (1887) à celui de Luc Brisson (2013).

Une longue introduction précède les fragments de Xénophane (p. 1-66) et un choix de témoignages qui portent sur lui (p. 68-72). Des notes en bas de page accompagnent les premiers. L'ensemble est complété par une bibliographie (p. 91-101) ainsi que par un index des noms (p. 103-106) et des notions (p. 107-110).

L'introduction occupe les pages IX-LXXIX. Elle propose des éléments sur la vie et l'œuvre de Xénophane (p. XII-XXI), "quelques mots sur [sa] pensée" (p. XXI-XXXII) et une présentation développée des caractéristiques de sa poésie (p. XXXII-LXXV). La partie la moins convaincante de l'ouvrage est la deuxième section de cette introduction. L'auteure, qui n'est pas spécialiste de philosophie antique, se montre sur le plan de la doctrine d'une modestie qui est proche de l'indifférence. Aucune question n'est tranchée, même si toutes les opinions sont rapportées : sur la place du Colophonien dans la philosophie présocratique, on apprend que «la question n'est guère résolue aujourd'hui» (p. IX) ; sur sa qualité de rhapsode, que «la question n'a (...) pas trouvé de réponse» (p. XV) ; sur sa relation à Parménide et à l'éléatisme, que «rien (...) ne peut être affirmé avec certitude» (p. XXX) ; sur son rapport aux Milésiens, que «la question reste très difficile à résoudre» (p. XXXII). On est loin de l'effort de systématisation qui faisait tout l'intérêt de l'édition Lesher (1992). 

Le choix a été fait de conserver pour l'essentiel la présentation Diels-Kranz «revu[e] par West» (p. LXXV) et donc aussi celle de Jean-Paul Dumont, bien que ce respect de la tradition ait l'inconvénient de supposer l'existence du traité De la nature, largement discutée depuis Jaeger (1936) : fragments des Élégies, puis des Silles, des Parodies, du De la nature, fragments douteux, puis les deux imitations d'Euripide. Le fragment dit «Lebedev», réattribué à Xénophane en 1978, est également donné. Certaines modifications sont à noter, peut-être à regretter. Leben et Lehre sont inversés : pour une raison obscure, l'auteure, qui ne s'intéresse pas aux fragments doxographiques, ne les reprend pas intégralement ; et ceux qu'elle retient (A1, A13, A25, A26, A31, A33, A36-A41) le sont selon un principe peu discernable qui a pour conséquence d'écarter deux des plus importants, le A29 (extrait du Sophiste) et le A30 (extrait de la Métaphysique A). Disons enfin que la transformation de «zweifelhafte Fragmente» en «de place incertaine» est surprenante. 

Pour ce qui est de la traduction, elle est digne d'éloge pour sa clarté et sa précision. On peut même dire qu'elle a su tirer parti de celles qui l'ont précédée, puisqu'elle va jusqu'à rendre un hommage, peut-être un peu trop littéral, à celle que P. Tannery, par ailleurs oublié dans la bibliographie, donna de B11 DK : «Homère et Hésiode ont attribué aux dieux tout ce qui chez les hommes est sujet de honte et de blâme (...) : le vol, l'adultère, les tromperies réciproques».

Les commentaires des annotations, qui justifient les points difficultueux de la traduction et rendent compte de l'état actuel des interprétations, sont très éclairants. À propos de la littérature critique, on signalera, cependant, que la p. XXIX allègue que «selon Jaeger [1936], Xénophane aurait pu aussi n'être qu'un simple disciple de l'école éléatique, et non son fondateur». Il n'est pas facile d'être d'accord avec cette affirmation, car c'est en fait là une des hypothèses de Reinhardt que Jaeger met en doute. Quant à la reprise de la critique du même Jaeger par Deichgräber (1938), qu'il soit suffisant de dire qu'elle n'avait rien de nécessaire.

L'édition est de qualité. Le seul accroc à la typographie qu'on a pu trouver au fil de la lecture se dissimule dans la note 113, p. XXIX : la date de la première édition du Parménide de Reinhardt est 1916 et non 1906.

Ce livre est en somme une étape intéressante dans les études sur Xénophane, plein de données philologiques et de pistes bibliographiques.

Karim Oukaci.