Emmanuel Jaffelin, On ira tous au paradis, Flammarion, 2013, lu par Jean-Jacques Sarfati

Emmanuel Jaffelin, On ira tous au paradis, Ed. Flammarion, collection « Antidote », 2013, 111 pages. 

Pour comprendre la thèse qu’E. Jaffelin soutient, il convient sans doute de lire les dernières pages de son ouvrage. Ce dernier écrit en effet :

L’ère du soupçon s’achève : la défiance politique à l’égard du religieux n’avait d’égale que sa croyance naïve dans le progrès. Dieu est là. Loin d’être une fabrique de crétins la religion participe d’un ré-enchantement du monde porteur de fortes aspirations. Croire constitue la forme la plus élevée de l’esprit ainsi qu’une présence au monde originelle et originale. (p. 110)

Chacun l’aura compris,... 

... l’antidote que propose E. Jaffelin n’est autre que la foi. Laquelle ? L’auteur ne plaide pour aucune chapelle. Son projet est œcuménique et sa Bibliographie contient tout autant la Bible que le Coran ou le Tao-To-King. L’essentiel est de croire et afin de nous convaincre, son ouvrage se développe en trois parties.

Dans la première, qu’il intitule « Dieu expire », E. Jaffelin nous rappelle que la rupture entre l’Occident et la religion s’est opérée assez tôt. Il situe celle-ci du côté de la Grèce antique avec les Milésiens puis s’est poursuivie vingt-cinq siècles plus tard pour atteindre son point culminant avec Nietzsche, Marx et Freud (que, selon nous, l’auteur a tort de lier ensemble, Freud ayant indiqué que la religion qu’il avait assimilée à une névrose n’était que celle de l’homme de la rue1). Ce qui distingue cependant ces auteurs des penseurs religieux - Platon compris nous rappelle-t-il à juste titre - c’est que, ne faisant pas l’économie du paradis, ils localisent celui-ci, non plus dans un ailleurs invisible mais « dans un ici et maintenant tangible ». (p.32). Mais il n’y a pas que la philosophie qui ait contribué à l’expiration de Dieu, ce que l’auteur appelle le « putsch de la marchandise » et le remplacement de la marche religieuse par le marché fut également à l’origine de ce premier détachement (p. 41).

La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule « Dieu respire ». E. Jaffelin nous y indique pourquoi, contrairement à la fameuse formule, Dieu n’est pas tout à fait mort (p.51). Ce moment est donc l’occasion pour lui de traquer, dans les méandres de la modernité, les références religieuses dont celle-ci ne s’est finalement jamais tout à fait débarrassée : de la référence à l’Etre suprême des révolutionnaires français (p.52) à la fameuse formule kantienne, en passant par la laïcité à la française, l’auteur écrit ainsi

Tout se passe comme si l’éclosion du savoir et le développement de la rationalité n’empêchaient pas la renaissance du phénomène religieux. (p.73)

Il se demande alors si cette persistance du religieux est marque de la bêtise ou bien d’une réalité dont la raison ne pourrait avoir connaissance (p. 73). Il répond alors à la question dans une troisième partie qu’il intitule « Dieu inspire » et dans laquelle il développe, selon nous l’idée centrale de son travail. Il distingue, en s’inspirant de Bergson, deux formes de prières, celle qu’il appelle mécanique et la pneumatique. La première n’est qu’une soumission à la société. Cette prière, est celle du croyant qui

prie dans la perspective de ce que le primitif recherche : apaiser l’inquiétude née des actions de l’intelligence et conforter son attachement à la société dans laquelle il vit (p.92).

Cette forme de prière ne fait pas avancer l’homme, dit E. Jaffelin, elle l’empêche de reculer. A celle-ci, il oppose la pneumatique de la prière. A l’instar de la religion dynamique du Bergson des Deux Sources dont elle est une émanation, celle-ci n’est autre qu’ :

une poussée irrésistible qui jette le croyant dans les plus vastes entreprises. (p.94).

Alors que la première enchaînait, la seconde libère. Elle permet à l’homme de se détacher de la société afin de la dépasser pour s’attacher à l’humanité. Elle permet surtout de lutter contre une technique pour rejoindre une mystique

Seule susceptible d’offrir à l’humanité ce supplément d’âme qui ne parvient pas à surgir des machines…pour que l’homme évite de devenir lui-même un machin (p.104).

Il conclut ainsi son texte par cette belle formule « commencez la vie dans la confiance, l’intendance suivra ». (p.109).

En ces temps que l’on qualifie de « crise », remercions notre auteur - avocat d’une gentillesse qui en a tant besoin - de cette leçon d’espérance en une humanité qui peut toujours faire triompher ce que Freud appelait l’Eros éternel2 , seul capable, selon lui, de nous aider à vaincre une tendance trop naturelle à l’agressivité envers nos semblables et à la punition constante de soi. Cette dernière qu’il faut vaincre, interdit en effet le plaisir réparateur et contribue à faire de nous ces êtres de souffrance qui confondent bien abusivement rigueur et sévérité.

Jean-Jacques Sarfati




1 Le Malaise dans la civilisation, II, Trad. B. Lortholary, Points, 2010 p. 60 « Dans mon livre, écrit-il, L’avenir d’une illusion, il s’agissait beaucoup moins des les sources profondes du sentiment religieux que bien bien plutôt de ce que l’homme de la rue entend par religion ». 

2 Op.cit., p. 173