Le chevalier est un type de personnage aux multiples fonctions. Visitez l'analyse sur l'adoubement pour en connaître davantage. Les récits médiévaux (romans courtois, romans de chevalerie ou chansons de geste) nous font un portrait élogieux de cet homme incontournable, héros et modèle pour le public. Beaucoup d'images sont également disponibles sur le site de la Bibliothèque Nationale de France : expositions.bnf.fr

La chanson de Roland : le héros national

La chanson de Roland est un titre donné plus tard à un texte anonyme du XIe siècle. C'est ce qu'on appelle une chanson de geste, un récit probablement mis en musique pour raconter les grandes actions d'un héros : Roland le comte des marches de Bretagne, neveu du roi Charlemagne. Considéré comme le premier et le plus grand récit épique français, il raconte l'histoire des chevaliers de Charlemagne dans un contexte de guerre avec les Sarrasins (habitants d'Afrique du Nord). Aujourd'hui où bien des communautés cherchent leur identité, où la France s'interroge sur son récit national, l'étude de cette chanson de geste n'est pas superflue. Avant toute chose, il convient de rappeler que l'analyse suivante s'attache à l'aspect littéraire et artistique de cette œuvre et non pas à son interprétation politique. Autrement dit, nous  y observerons la représentation idéalisée du chevalier médiéval. On relève beaucoup d’inexactitudes historiques, géographiques et religieuses. En effet le personnage de Roland et les événements tels qu'ils sont racontés tiennent plus de la légende que du fait historique.

Le roi Sarrasin Marsile propose une trêve à Charlemagne et demande un ambassade pour négocier cette paix. L'empereur (c'est un  titre qu'en réalité Charlemagne obtiendra  plus tard) refuse d'y envoyer ses douze Pairs (douze fidèles seigneurs attachés à son service). Ganelon, beau-père de Roland, dont on sent déjà apparaître la trahison, se propose pour cette mission. Il pactise avec l'ennemi et, à son retour, pour l'humilier, fait en sorte que Roland combatte dans l'arrière-garde de l'armée. Lorsque les troupes arrivent à Roncevaux, dans les Pyrénées espagnoles, elles doivent passer dans des défilés, entre les reliefs du terrain qui cachent les assaillants. Pour défier les douze Pairs, Marsile envoie à son tour ses douze meilleurs combattants. Une lutte épique et symbolique se prépare. Le sage Olivier qui porte l'épée nommée Hauteclaire est le meilleur ami de Roland (sur les origines de cette amitié, lisez Le Mariage de Roland, dans La Légende des Siècles de Victor HUGO) ; il  confie qu'il a vu l'armée sarrasine "Ceux de devant sont cent mille avec leurs écus" (v. 1041, ) et "vous aurez bataille telle qu'il n'y en eut jamais" (v. 1044). Les hyperboles ou exagérations viennent renforcer le danger. Pourtant, face à cette menace, le narrateur nous dit trois fois que Roland refuse de sonner du cor pour demander de l'aide : "Roland, sonnez donc de votre cor (v.1051) ; "Roland, l'olifant sonnez-le" (v. 1059) ; "Roland sonnez votre olifant" (v. 1070). 

Pour éviter le déshonneur et ne pas passer pour un lâche, Roland refuse et annonce : "Quand je serai au plus fort de la bataille, je frapperai mille coups et sept cents, de Durendal vous verrez l'acier sanglant" (v. 1077-1079)  puis il fait pousser le cri de guerre "Montjoie" aux vingt mille hommes qui l'accompagnent. Roland est fier et preux, il a toutes les qualités d'un chevalier ; son cheval Veillantif est un bon destrier; son épée Durendal une lame de légende ; sa force est sans pareille. Les scènes de combat sont pleines de violence. A l'assaut d'un ennemi il "lui brise l'écu, lui entaille le haubert, fend sa poitrine et fracasse ses os, et lui sépare toute l'échine du dos ; il lui arrache l'âme du corps avec son épieu, il l'enfonce à fond, fait chanceler son corps, il l'abat mort du cheval, de toute le longueur de sa lance, en deux morceaux lui a brisé le cou" (v. 1199-1205). C'est sur modèle que l'on voit les compagnons de Roland, parmi lesquels se trouve l'archevêque Turpin, livrer combat sur combat.  A mesure qu'il voit les amis disparaître, Roland très grièvement blessé prend conscience de la nécessité de faire appel à Charlemagne, "avec douleur et peine, il sonne l'olifant" (v. 1787, traductions de Ian SHORT dans Le Livre de Poche) si bien qu'on l'entend à trente lieues. Hélas lorsque Charlemagne arrive, il trouve son neveu mort, sous un arbre, avec son épée près de lui et le cor fendu. Le héros national est tombé même s'il s'est bien battu contre d'innombrables ennemis. Son courage et sa mort motivent les Francs à poursuivre la lutte jusqu'à leur victoire.

L'image du héros abattu est si forte qu'elle trouve des échos chez TOLKIEN dans Les Deux Tours, deuxième tome du Seigneur des Anneaux, au premier chapitre : "Le départ de Boromir". On y voit le héros percé de nombreuses flèches, assis contre un arbre, l'épée à la main et le cor brisé après avoir lutté contre des ennemis en grand nombre. En bande dessinée, Nicolas JARRY et Gwendal LEMERCIER, dans la série Durandal (2010-2012), vont donner à la légende une dimension mythologique qui remonte à travers la matière de Bretagne et les mythes scandinaves. Roland reste le héros par excellence qui lutte de toutes ses forces pour défendre ceux qu'il aime.

 

Lancelot du Lac : le chevalier courtois

Chez Chrétien de Troyes, apparaît le nom de l'un des plus célèbres chevaliers, dans le roman Lancelot ou le chevalier de la charrette (traduction de Ch. MELA). Sur ce héros, il y aurait beaucoup à dire tant ses aventures sont nombreuses et sa célébrité est sans limite. Nous verrons donc en priorité quelques uns de ses exploits liés à son amour pour Guenièvre.

Le récit commence lorsque le chevalier Méléagant, venu du Pays sans Retour, entre dans le Palais et demande en otage la Reine Guenièvre, l'épouse du roi Arthur. Gauvain, le neveu d'Arthur se lance à leur poursuite. Il croise alors la route d'un chevalier inconnu qui poursuit le même but et qui accepte de monter sur une charrette menée par un nain pour retrouver la Reine. Le narrateur nous explique qu'à l'époque "Tout criminel pris sur le fait était placé sur la charrette et mené à travers les rues. Il est exclu de toutes les dignités, il n'était plus écouté à la cour ni accueilli avec honneur ou dans la joie". L'inconnu  a donc accepté la plus grave des humiliations pour sauver la Reine car "Amour qui est enclos dans son cœur lui commande vivement de monter dans la charrette". On comprend ainsi que le chevalier servant se met au service d'une Dame, sa maîtresse, et accomplit l'impossible. C'est ce qui caractérise l'amour courtois ou fin'amor, un sentiment entre personnes nobles de la cour(1) d'un seigneur, souvent une relation adultère, interdite, mais qui est capable de lancer le héros dans des aventures. Ce schéma trouve un modèle fameux dans la légende de Tristan et Iseut (voir LES AMANTS ÉTERNELS 2/3 : Cœurs amants et amour interdit)


Accueillis dans un château, les deux chevaliers sont invités à dormir. L'inconnu ose dormir dans un lit interdit et échappe à une lance enflammée : il montre ainsi son audace et son habileté. Pour entrer dans le royaume de Gorre où est retenue Guenièvre, les deux chevaliers ont le choix entre deux passages magiques et périlleux. Gauvain choisit le Pont sous l'Eau tandis que l'autre emprunte le Pont de L’Épée. Un des extraits les plus connus de l'histoire de Lancelot se déroule à ce moment. Le pont passe  au-dessus d'une "eau traîtresse, un rapide qui grondait, aux flots noirs et boueux, d'une laideur si effroyable qu'on eût dit le fleuve infernal" v. 3009-3012). Par ailleurs,  "une épée fourbie [=aiguisée], brillante de blancheur, servait de pont au-dessus de l'eau froide. Mais l'épée était solide et rigide, et elle avait la longueur de deux lances" (3022-3025). De l'autre côté on croit voir deux lions et deux léopards qui attendent celui qui traverse. Face à ces dangers surnaturels, le héros n'hésite pas. Luttant contre la peur et contre la douleur infligée par la lame, il surmonte cette épreuve pour retrouver celle qu'il aime : "Amour qui tout au long le guide lui verse un baume et tout entier le guérit" (v.3114-315).

Lorsqu'enfin le chevalier inconnu retrouve la reine, il livre un premier duel à Méléagant. C'est à cette occasion que Guenièvre nous apprend enfin le nom de l'inconnu : il s'appelle Lancelot du Lac (v.3360).

Pour connaître les origines du jeune homme, il faut se reporter au Lancelot-Graal, cette somme littéraire dont Lancelot est le cœur. Le roman Lancelot qui raconte La marche de Gaule, Galehaut et La Quête de Lancelot est le pilier de cette fresque narrative.

On nous raconte comment Le roi Ban de Bénoïc meurt tragiquement, en constatant la ruine de son royaume livré à l'ennemi. Son fils est ensuite enlevé par la Dame du Lac, Viviane (ou Niniane) qui se charge de l'élever dans sa demeure magique au fond de l'eau. Cette fée est celle qui cause la chute de Merlin (voir AUTOUR DU HOBBIT 2/3 : Enchanteur, magicien ou sorcier...) et le narrateur précise que "à cette époque on appelait fées les femmes qui s'y connaissent en charmes et en enchantements" (Marche de Gaule, traduction de Anne Berthelot). Élevé dans l'ignorance de ses origines, Lancelot bénéficie de la meilleure éducation, il est sage, intelligent, rapide et vif ; son portrait est celui d'un jeune homme beau et aux proportions harmonieuses. Il a toutes les perfections. Par la suite, tout dans son histoire est provoqué par ses sentiments pour Guenièvre. L'amour est clairement un moteur de l'action, c'est ce qui pousse le héros à agir et vivre des aventures extraordinaires. Il devient vite aux yeux de tous le meilleur chevalier du monde. Il ressort victorieux de tous les combats qu'il mène car son amour est fort et sincère. Un amour qui durera jusqu'à la fin de sa longue vie, même si pour cela, il trahit la confiance d'Arthur et participe à la ruine du royaume.

Chevaliers en images

Nombreux sont les héros qui se disputent le titre de meilleur chevalier du monde. Tous leurs talents révélés par les auteurs font le plaisir du public. L'univers arthurien est une source intarissable de récits.

Un exemple avec Prince Valiant, au temps du roi Arthur une bande dessinée créée par Harold R. FOSTER (1892-1982) en 1937. Lorsqu'il en a assez de dessiner les aventures de Tarzan créées par Edgar Rice BURROUGHS, Hal créé sa propre série qui prend place dans un Ve siècle imaginaire. Même en noir et blanc, le graphisme révèle une vraie science des ombres et des lumières, un vrai respect des proportions  des corps, une très grande efficacité dans le découpage des scènes. Le prince Valiant de Thulé (ce nom fait aussi allusion à une terre mythique et paradisiaque), échoue avec son peuple sur les côtes bretonnes. Commence pour lui une nouvelle vie d'aventures où il affronte des créatures étranges, rencontre la sorcière Horrit qui lui prédit un avenir sombre, il croise les chevaliers Lancelot et Gauvain, la fée Morgane et Merlin, se rend à Camelot  auprès du roi Arthur, et trouve toutes sortes de stratagèmes pour parvenir à ses fins. C'est également un personnage qui a la particularité  d'évoluer ; d'abord tout jeune écuyer, il devient au fil des albums un chevalier expérimenté, avec une famille... Une adaptation cinématographique voir le jour en 1954 avec Prince Valiant de Heath HATHAWAY. Mais il est difficile de rendre toutes les péripéties du personnage dans un seul long-métrage de cette époque. D'innombrables scénaristes et dessinateurs ont donné vie à des héros médiévaux dans l'univers arthurien :  François CRAENHALS avec Chevalier Ardent (1970)  et son jeune héros solitaire, un dessin réaliste à la ligne claire ;  la série Arthur (1999-2006) de David CHAUVEL et Jérôme LERECULEY qui redonne à la légende ses origines celtiques avec un graphisme très travaillé ; la série Lancelot, de Jean-Luc ISTIN, Olivier PÉRU et ALEXE, beaucoup plus sombre révèle les origines et l'identité de Lancelot d'une façon très inattendue et originale...

Le Cid

Le théâtre est également capable de nous offrir des héros chevaleresques, capables de tous les sacrifices. Le Cid (1637) de Pierre CORNEILLE (1606-1684) est une pièce magistrale qui suscité à sa création une querelle mémorable. Vous en trouverez le résumé complet et le commentaire dans l'analyse qui lui est consacrée sur ce blog. S'inspirant d'un personnage historique dont se vante la ville de Séville (on y trouve une Avenue du Cid et une statue à son effigie), CORNEILLE met surtout en valeur l'histoire d'amour entre Chimène et Rodrigue. Suite à la rivalité entre les deux pères (Comte Gomès de Gormas, père de Chimène, et Don Diègue, le père de Rodrigue), le jeune homme tue le père de celle qu'il aime. Il vient d'accomplir un acte condamnable mais aussi incroyable puisque son ennemi était présenté comme invincible (on l'avait vu "porter partout l'effroi dans une armée entière" (I, 5 v. 278). L'amour entre les jeunes gens n'est plus acceptable à la cour. Rodrigue va donc affronter les Maures et remporte une victoire éclatante. Don Fernand le roi d'Espagne rappelle : « Mais deux rois tes captifs feront ta récompense./Ils t’ont nommé tous deux leur Cid en ma présence » (IV, 3 v. 1221-1222). De jeune homme sans expérience, il est devenu le héros de tout le royaume, et regagne le droit d'aimer en liberté Chimène.

Une version du Cid en bande dessinées est disponible, à l'initiative de l'éditeur Olivier PETIT. N'hésitez pas à lire l'entretien accordé sur le blog en suivant ce lien.

Il existe beaucoup de représentations artistiques dans les romans, les films, mais aussi à travers les très nombreux spectacles : MédiéVal d'Oise dans le Val d'Oise, les Médiévales de Provins en Seine-et-Marne, le parc d'attractions du Puy du Fou en Vendée... Si l'on a aujourd'hui une vision positive des chevaliers, on le leur doit. Elles ne reflètent pas toujours la réalité, alors à vous de choisir votre héros préféré.

Cependant, il y aura beaucoup d'appelés et un seul élu pour découvrir le plus grand de tous les mythes littéraires. Le secret sera dévoilé dans SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 2/4 : La Quête du Graal.

Le mois prochain, vous lirez BAS LES MASQUES, l'art de la dissimulation...

 

 

 

N. THIMON

NOTES :

1 : Faire preuve de courtoisie, c'est donc montrer que l'on connaît les codes de la "bonne société".