• Les automates

Du côté des sciences et des techniques, ce sont d'abord les automates, au XVIIIe siècle, qui donnent l'illusion de la vie : le joueur de flûte de Jacques VAUCANSON (1709-1782) ou l'écrivain de Pierre JAQUET-DROZ (1721-1790)(1). Le travail de ces inventeurs, horlogers ou mécaniciens, imite la mécanique humaine et fait croire à une vie autonome. Les œuvres de JAQUET-DROZ sont visibles au Musée d'Art et d'Histoire de Neuchâtel.

 

  • Frankenstein et les savants fous

Du côté littéraire, c'est Frankenstein ou Le Prométhée moderne (1818 et 1831) de Mary SHELLEY (1797-1851) qui lance une mode encore d'actualité. La romancière, dans la préface à la seconde édition, explique son projet et son goût pour les sciences. Même si ses connaissances dans ce domaine ne sont pas développées, c'est un enthousiasme général, dans l'air du temps, qui lui fait entre autres choisir ce sujet.

Victor Frankenstein est un jeune homme suisse qui, lors de ses études scientifiques, sent monter son désir de changer le sort de l'humanité : « mais quelle gloire ne résulterait pas de ma découverte, si je pouvais bannir du corps humain la maladie, et, hors les causes de mort violente, rendre l'homme invulnérable ? (chapitre 2). Les récentes découvertes sur l'électricité et ses travaux en anatomie le poussent à étudier les cadavres jusqu'à ce qu'il découvre le secret de la vie : « une espèce nouvelle bénirait en moi son créateur et sa source ; c'est à moi que devraient l'existence des quantités de natures heureuses et bonnes » se dit-il alors (chapitre 4). Le lecteur prend alors pleinement conscience de l'orgueil du protagoniste qui tente d' « animer l’argile inerte » en recréant un être humain à partir de morceaux pris dans les tombes.

Consultez ici : Un extrait de Frankenstein de Mary SHELLEY

Le monstre - qui ne sera jamais proprement nommé - échappe à son créateur et ruine la vie du jeune homme. Il donne ses raisons :« je suis ta créature, je devrais être ton Adam, mais je suis plutôt l'ange déchu que tu chasses loin de la joie […] J'étais bienveillant et bon ; la misère a fait de moi un démon» (chapitre 10). La lecture du roman rétablit les vérités que les nombreuses adaptations ont fait oublier. Frankenstein est un savant sain d'esprit, aveuglé par l'orgueil ; il aurait voulu être le bienfaiteur de l'humanité comme le Titan Prométhée qui a apporté aux hommes le feu et la technique ; ce mythe est largement développé dans DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 3/4 : Tout feu tout flamme, b. Le feu céleste. La créature n'est pas simplement un monstre cruel et silencieux, il est aussi une sorte de héros romantique seul, malheureux et incompris. C'est d'ailleurs lui qui a la parole à partir du chapitre 11 et qui donne son point de vue sur les derniers événements.

 

Le cinéma s'est très tôt emparé de cette figure torturée. James WHALE (1889-1957) réalise Frankenstein en 1931, avec Boris KARLOFF (de son vrai nom, William Henry PRATT 1887-1969) dans le rôle titre. Pour toujours, c'est le visage de cet acteur qui sera la représentation parfaite du monstre fabriqué, avec sa tête rectangulaire et ses cicatrices.

Par la suite, une confusion s'opère dans l'opinion publique, faisant croire que Frankenstein est le nom du monstre et que son créateur n'est qu'un savant fou ; il faudra entre autres l'adaptation tardive de Kenneth BRANAGH (né en 1960), Mary Shelley's Frankenstein (1995) pour que le cinéma donne une version plus fidèle du roman. Tous les domaines artistiques ont repris le personnage et l'ont présenté sous tous les points de vue imaginables.

L'Île du Docteur Moreau (1896) de H.G. WELLS propose une vision intéressante, à mi-chemin entre le récit fantastique, incroyable, rédigé à la première personne, et le récit d'horreur. Le Docteur en question a tous les traits du savant fou. Il s'agit d'"un physiologiste fameux" " bien connu dans les cercles scientifiques" dont les expériences cruelles font hurler l'opinion publique (chapitre 4, traduction de Henri Davray). Le docteur, en ayant recours à la chirurgie(2), se montre fier de ses créatures "des animaux taillés et façonnés en de nouvelles formes". "Je pris" dit-il "un gorille que j'avais, et avec lui, [...] je fis mon premier homme" (chapitre 8). Le chapitre 9 intitulé "les monstres" se livre à une impressionnante liste des hommes-animaux ainsi fabriqués.

  • Robots et androïdes

Dans un autre genre, les élèves sont invités à garder une place pour découvrir plus tard L'Ève future (1886) de Jean de VILLIERS DE L'ISLE ADAM (1838-1889). Le roman raconte comment l'Américain Thomas Alva EDISON (1847-1931), le célèbre inventeur(3), le « sorcier de Menlo Park » invente une machine d'apparence humaine : l'Andréide, censée être la femme parfaite...

Ce terme "andréide" est en concurrence avec le terme plus connu "androïde" qui désigne une machine d'apparence humaine (d'après le grec andros : homme).

Metropolis, Fritz Lang
Metropolis, Fritz Lang

Le film Metropolis (1927)(4) de Fritz LANG (1890-1976) semble s'engager sur voie en partie semblable à celle de VILLIERS DE L'ISLE-ADAM. La représentation de la ville géante - qui donne son titre au film - est très impressionnante et dépeint une année 2026 froide et inégalitaire (sur le ville idéale, voir LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ? 3/3 Villes et merveilles). Suite à des révoltes d'ouvriers, le grand patron ordonne de façonner un robot à l'image de Maria, leur leader, pour semer le trouble parmi eux. La situation est rendue possible par le fait que l'humain et la machine sont semblables en apparence. Doivent-ils avoir les mêmes tâches ? L'un peut-il remplacer l'autre ? Sont-ils ennemis ?

Plus tard, cette dernière question a été l'un des sujets favoris de la science-fiction. Au milieu du XXe siècle apparaît officiellement la bionique, une science qui étudie et copie le vivant pour l'appliquer à des machines. L'exemple du film Terminator (1984, interdit aux moins de 12 ans) de James CAMERON montre comment les hommes sont entrés en guerre contre les machines. Celles-ci parviennent par un inquiétant retournement de situation à créer des robots à l'image de l'homme, des cyborgs (organismes cybernétiques) pour infiltrer les lignes ennemies(5). 

Isaac ASIMOV (1920-1992), occupe une place tout à fait singulière dans la littérature consacrée aux robots. Auteur majeur de science-fiction, il a auparavant fait des études scientifiques qui lui donnent une certaine autorité dans ce domaine. Son œuvre est vaste, aussi ne citerons-nous que le début d'une cycle emblématique : Les robots.

En préambule, le lecteur découvre les Trois Lois de la Robotique qui marquent toute l'histoire de la science-fiction :

Première Loi

Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.

Deuxième Loi

Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi.

Troisième Loi

Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec le première ou la deuxième loi.

Manuel de la robotique

58e édition (2058 apr. J.C.)

Présentées ainsi, les lois donnent une image positive des machines.

La préface de ce recueil est particulièrement intéressante car elle donne les objectifs de l'auteur et retrace également une partie de l'histoire des hommes artificiels. ASIMOV nous rappelle par exemple que le mot « robot » est d'origine tchèque et qu'il signifie à peu près «travailleur». C'est l'écrivain Karel ČAPEK (1890-1938) dans sa pièce R.U.R. (Robots Universels de Rossum, 1921), qui l'emploie la première fois pour nommer les êtres créés par le savant Rossum.

Par ailleurs, ASIMOV explique avoir été lassé des innombrables récits dans lesquels les robots voulaient dominer l'homme. Son œuvre avait pour but de donner une autre image.

Les nouvelles de son recueil sont reliées par les souvenirs de Susan Calvin « robopsychologue » et montrent les liens qu'entretiennent les hommes et les robots. A vous de découvrir comment malgré l’obéissance à ces lois, le romancier parvient à créer du suspense et une vraie tension dramatique. En 2004, le réalisateur Alex PROYAS a livré une adaptation très éloignée du récit dans I, Robot avec Will SMITH dans le rôle principal. I Robot (1977) est aussi le titre d'un album du groupe de rock progressif The Alan Parsons Project. Sur le morceau éponyme, entièrement instrumental, les musiciens donnent la parole aux synthétiseurs pendant six minutes, récréant une ambiance électronique à la fois futuriste et mystérieuse. Pour autant, la présence des choeurs semblent rappeler que les machines poursuivent une quête d'humanité...

The Alan Parsons Project - I Robot - 1977

Cette tension trouve un écho dans la bande dessinée en 4 tomes IAN (2003-2007) de Fabien VEHLMANN et Ralph MEYER. Le personnage principal, Ian (Intelligence Artificielle Neuromécanique) est un androïde très perfectionné qui fait la fierté de ses créateurs. Il a du mal à se faire accepter par les membres de l'équipe humaine dans laquelle il a été engagé. Ses attitudes, ses réactions, ses questions font de lui un être à part, qui cherche son humanité.

Le sujet avait été traité avec le manga Astroboy  (1952) de Osamu TEZUKA (1928-1989) et sa version anime Astro le petit robot.

Astroboy, Osamu Tezuka © Glénat
Astroboy, Osamu Tezuka © Glénat

Le professeur Tenma crée un robot au corps d'enfant et doté de super pouvoirs pour remplacer son propre fils, tué dans un accident. Le récit s'inspire en partie de l'histoire de Pinocchio de Carlo COLLODI (voir CŒUR D'HOMME, PEAU DE BÊTE 4/4 : Sales bêtes !). Entre conte pour enfants et science-fiction, l'auteur exprime son rêve d'une machine devenue humaine.

Vous aurez un exemple des performances théâtrales des robots dans Robots, pièce pour comédiens et robots de Christophe JACQUEMIN en suivant ce lien : http://www.automatesintelligents.com/art/2009/sep/extraitrobots.html

 

D'autre part, en ce moment, jusqu'en janvier 2015,  La cité des sciences et de l'industrie présente Art robotique, une exposition temporaire au croisement entre les sciences et l'art. Consultez la page  : http://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/art-robotique/

On peut également consulter le projet Romeo qui réunit divers laboratoires autour de la création d'un robot humanoïde qui est aussi un assistant pour les personnes âgées ou handicapées.

Les travaux sur des machines pensantes et la recherche d'une intelligence artificielle sont en passe d'accomplir ce que les artistes ont décrit à leur manière. L'intelligence étant l'une des caractéristiques principales de l'homme, on constatera que la recherche ne vise pas tant la ressemblance physique que la ressemblance intellectuelle, la capacité, à résoudre des problèmes, à s'adapter. Et un jour, avoir des sentiments ?(6)

  • Les clones

Le Meilleur des Mondes, Aldous Huxley ©Pocket
Le Meilleur des Mondes, Aldous Huxley ©Pocket

Le Meilleur des mondes (1931) de Aldous HUXLEY (1894-1963), avec son titre ironique emprunté à VOLTAIRE, vient apporter l'idée du clonage humain. Le mot clone qui signifie en grec, une "jeune pousse" n'est pas encore employé à l'époque et apparaît d'abord en botanique, le domaine des plantes. L'auteur, dans sa préface anglaise de 1946 nous indique  : "le thème du Meilleur des mondes n'est pas le progrès de la science en tant que tel ; c'est le progrès de la science en tant qu'il affecte les individus". Dans ce monde futuriste et utopique (voir l'article précédent : SCIENCE ET FICTION 3/5 : À tous les temps, b. L'irréel du passé et aussi : LES UTOPIES : DES MONDES MEILLEURS ?) ce qui compte c'est la société, le groupe. On vit dans un Etat-mondial. Cette idée est confirmée par un Directeur : "L'assassinat ne tue que l'individu, et qu'est-ce, après tout, qu'un individu […] ? Nous pouvons en faire un neuf avec la plus grande facilité". Les enfants naissent en éprouvettes et sont conçus pour accomplir des tâches bien déterminées.  C'est ainsi que l'on peut voir au chapitre 2 "quatre-vingt-seize jumeaux identiques faisant marcher quatre-vingt-seize machines identiques". La technologie permet de bénéficier de toutes sortes d'avantages comme le Cinéma Sentant qui diffuse des films perceptibles par les cinq sens. L'hypnopédie est une technique employée pour enseigner à chacun, pendant son sommeil, quelle est sa place dans la société. Ainsi, les lettres de l'alphabet grec son employées pour nommer les différentes classe de la société. De la plus haute : les Alphas, à la plus basse : les Epsilons. Le romancier critique une science qui, en voulant tout faire au mieux, détruit les libertés.

Consultez ici : Un extrait du Meilleur des mondes de Aldous HUXLEY

Ce contrôle de naissances, qu'on appelle aujourd'hui eugénisme,  trouve des échos dans l'Histoire et dans les fictions. Les clones de Star Wars de George LUCAS sont fabriqués en série pour accomplir des missions spécifiques comme vous pouvez le voir en particulier dans Star Wars : Épisode II - l'Attaque des Clones (2002). Fred DUVAL, dans les scénarios de ses bandes dessinées phares Carmen McCallum et Travis, évoque (avec peut-être un pointe d'humour en référence aux O.G.M.) les E.G.M, autrement dit les Êtres Génétiquement Modifiés. Il s'agit de personnes transformées ou créées par la science pour avoir des aptitudes spécifiques.

C'est en 1996 que deux scientifiques écossais, Ian WILMUT et Keith CAMPBELL, parviennent à cloner une brebis nommée Dolly, c'est officiellement la première fois que cela est réussi pour un mammifère.  Le site du CNRS vous en dit plus sur cette page : http://www2.cnrs.fr/jeunes/399.htm. Depuis, encore plus près de nous dans le temps, la société sud-coréenne SOOAM BIOTECH est en mesure de cloner votre chien pour 75000 euros, ainsi que le révèle le site de France Info : http://www.franceinfo.fr/monde/le-plus-france-info/coree-du-sud-le-clonage-de-chiens-en-plein-boom-1284257-2014-01-17 .

Pour des raisons morales, le clonage humain est interdit. Comme chacun sait, on n'interdit que ce qui est possible.

La fin dans SCIENCE ET FICTION 5/5 : Le cas DICK

 

Le mois prochain, vous lirez LES BELLES ET LES BÊTES, l'art de rendre beau le monstrueux...

NOTES :

1 : Lien à suivre : A propos des partitions et de la musique jouée par l'androïde La musicienne  (automate Jaquet-Droz) : http://www.automatesintelligents.com/art/2009/nov/partitionmusicienne.html. Photo prise par Rama (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Automates-Jaquet-Droz-p1030490.jpg)

2 : A ce propos, le docteur fait référence à sa lecture de L'Homme qui rit de Victor HUGO (1802-1885) : on pratique de la chirurgie sur les saltimbanques afin de les rendre plus étonnants pour le public. Il est surprenant qu'un scientifique sérieux se réfère à une œuvre de fiction aussi bien documentée et bien écrite soit-elle.

3 : On lui doit, par exemple, le phonographe et l'ancêtre du cinéma, le kinétoscope.

4 : Le japonais RINTARO en a réalisé une adaptation libre  : Metropolis (2001), d'après les dessins de Osamu TEZUKA et un scénario de Katsuhiro OTOMO. Malgré le dessin, rond et enfantin des personnages, le film pose la question des classes sociales, des relations entre humains et robots. Les décors de la ville - parmi les images de synthèse les plus réussies de l'époque - viennent illustrer un univers "steampunk". Contrairement aux apparences, l'histoire se montre dure et violente.

5 : Pour l'anecdote, Terminator 2 (1991) est le film qui a marqué le début des effets spéciaux numériques au cinéma.

6: Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la page : http://www.automatesintelligents.com/art/index.html  qui propose une sélection de titres, d'articles, de vidéos sur la question des robots.

N. THIMON