a. Un futur imparfait

Le Futuroscope de Poitiers offre un aperçu des technologies de pointe (voir le compte rendu  : Le Futuroscope, une vision du futur). Beaucoup d’œuvres situent leur thème dans l'avenir, faisant du futurisme un terme clé. Ceci explique la multitude de titres contenant une date éloignée de l'époque de création.

A ne pas confondre avec le Futurisme, un mouvement artistique, culturel et politique  créé par  Fillipo Tommaso MARINETTI  dans son Manifeste du futurisme, 1909. Il y fait l'éloge et la promotion de la machine, de la vitesse et refuse de prendre le passé pour modèle. La modernité mise en avant donne naissance à des œuvres qui parfois rappellent la science-fiction. La Citta Nuova (1914), le surprenant dessin d'Antonio SANT'ELIA (1888-1916) montre une ville aux formes élancées, qui pourrait appartenir à notre avenir (voir LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ? :  3/3 : Villes et merveilles)

  • Anticipation

En outre, l’œuvre de Jules VERNE, en s'attachant à anticiper sur son temps, illustre bien le type de technologie qui se projette en avant. Soit il décrit sa propre époque en la dotant de nombreuses avancées pratiques  soit il dépeint un avenir plus lointain, comme en témoigne le titre d'un de ses ouvrages : La journée d'un journaliste américain en 2889 (1889 en Angleterre, 1910 en France). C'est aussi le cas avec le dessinateur et romancier Albert ROBIDA (1848-1926) dont l'imagination débordante a produit notamment le « téléphonoscope », une sorte de téléviseur interactif (dans son roman Le Vingtième Siècle, 1883). 

Le vingtième siècle / texte et dessins, par A. Robida
Le vingtième siècle / texte et dessins, par A. Robida
Source: gallica.bnf.fr

Cependant, dès le XVIIIe siècle, Louis Sébastien MERCIER (1740-1814) rédige un roman intitulé :  L'An 2440,  rêve s'il en fut jamais. Il s'agissait pour lui d'imaginer le monde futur en appliquant la philosophie du Siècle des Lumières.

  • Voyage temporel

En réalité, c'est Herbert George WELLS (1866-1946) qui pose clairement la question voyage temporel dans son récit La machine à explorer le temps (1901). Sous forme de témoignage inséré dans un récit à la première personne, nous apprenons comment l'Explorateur a mis au point une machine capable de se déplacer dans le temps.

Consultez ici  : Un extrait de La machine à explorer le temps de H.G. WELLS

Il s'est retrouvé en l'an 802701, une époque désolée, et observe les descendants étranges des êtres humains : les Eloïs et les Morlocks. Le récit de ses incroyables aventures fait douter les auditeurs et le lecteur : est-ce une histoire vraie ou inventée ? Cette interrogation se rapproche des méthodes d'écriture du récit fantastique.

La vision d'un avenir sombre est depuis devenue un thème habituel. Le dessinateur et scénariste de bandes dessinées Denis BAJRAM (né en 1970) en donne un parfait exemple dans son chef-d’œuvre Universal War One (1998-2006). Malgré les titres de chaque tome qui évoquent les temps bibliques, c'est dans un futur obscur que se déroule cette histoire. En ces temps avancés, ce sont les puissances industrielles qui dictent leur loi. Par ailleurs, les héros seront eux aussi confrontés à la question du voyage temporel.

  • Monde post-apocalyptique

On va jusqu'à parler de récit post-apocalyptique(1) pour décrire l'état du monde après une catastrophe planétaire.

En voici un exemple Niourk (1957) de Stefan WUL (de son vrai nom Pierre PAIRAULT 1922-2003). La Terre a perdu la mémoire après avoir été ravagée. Les hommes sont devenus des barbares primitifs vivant en tribus, les océans se sont asséchés, les noms de lieux eux-mêmes témoignent de la perte de la mémoire du monde.  Ce qui autrefois était des îles n'est plus qu'une suite de reliefs au nom incomplet : les monts Haït, le massif Jamaï. Le récit va se concentrer sur les aventures d'un enfant noir qui vit dans l'une de ces tribus et que tout le monde rejette. Parallèlement, les hommes doivent affronter de menaçants poulpes qui ont évolué à cause des déchets radioactifs accumulés au fond des océans. Le récit est adapté en bande dessinée par Olivier VATINE, un habitué de la science-fiction, dans une série en trois tomes : NiourK (depuis 2012).

Consultez ici : Un extrait de Niourk de Stefan WUL

Le thème apparaît également dans Ravage (1943) de René BARJAVEL (1911-1985) : François Deschamps vit en 2052, la technologie a tellement progressé que l'on circule en automotrice à suspension aérienne (un train suspendu), que les machines remplacent les garçons dans les cafés, on invente de nouveaux matériaux comme le « plastec »(2), on dispose de lecteurs électriques dans les trains, un bloc de viande surnommé la « mère » pousse indéfiniment pour nourrir la population... C'est le « siècle Ier de l’Ère de Raison ». Il faut signaler l'ironie avec laquelle est décrit ce monde parfait. Une déclaration de guerre lancée par l'Empereur Noir, en représailles des anciens racismes, accélère la chute des villes. La perte d'énergie généralisée provoque la chute des avions et des scènes de panique particulièrement effrayantes. Pour s'en sortir, les survivants prennent des décisions extrêmes, certains suivent la loi du plus fort. Ils doivent trouver de nouvelles façons de vivre. A travers ce roman, BARJAVEL se livre à une critique de la société qui mise tout sur la technologie et pas assez sur la nature (voir l'extrait ci-dessous). « C'est en violant toutes les lois de la Nature et de la logique que notre électricité a disparu » s'exclame un scientifique. La dédicace faite « à la mémoire de mes grands-pères, paysans » est là pour rappeler le but de ce récit. Le discours écologique est déjà présent.

Consultez ici  : Un extrait de Ravage de René BARJAVEL

Un autre exemple apparaît dans le très célèbre manga Akira (1990 en France) de Katsuhiro ÔTOMO :

"Le 6 décembre 1992, à 14h17, une bombe d'un type inconnu explosa au-dessus des principales villes du Japon. Neuf heures plus tard, ce fut le début de la Troisième Guerre Mondiale [...] et puis le monde commença à renaître de ses cendres...A Néo-Tokyo, en 2030, 38 ans après l'Apocalypse..."le héros, le jeune Tetsuo, doté de pouvoirs psychiques, veut régner sur un monde en ruines.

  • Dystopie

D'autres auteurs n'évoquent pas une catastrophe intervenue à une date précise mais un effondrement progressif des valeurs humaines.

1984 (1948) de George ORWELL (1903-1950) est la référence absolue dans ce domaine. Dès le premier chapitre, le lecteur découvre l'Angleterre à travers les yeux de Winston Smith, 39 ans. Partout des affiches représentant un visage d'homme avec cette inscription inoubliable : « BIG BROTHER VOUS REGARDE ». Chez lui, comme tous les autres habitants, Winston est muni d'un « télécran », un écran de contrôle toujours allumé qui renvoie vos faits et gestes aux autorités. L'Etat tout-puissant, l'ANGSOC (pour socialisme anglais) surveille chacun et lui répète quoi faire en toutes circonstances. L'ordre du monde a été repensé, l'Océania est en guerre contre l'Eurasia. Le Ministère de la Vérité prône les règles suivantes :

« LA GUERRE C'EST LA PAIX

LA LIBERTÉ C'EST L'ESCLAVAGE

L'IGNORANCE C'EST LA FORCE »

Chaque individu est prié de s'exprimer en novlangue, un langage inventé, uniformisé et simplifié pour répondre aux souhaits du Parti et de la Police de la Pensée. (G. ORWELL donne en annexe de son roman une explication détaillée du fonctionnement de ce moyen de communication). A ses risques et périls, Winston entame l'écriture d'un journal intime dans lequel il inscrit : « le crime de penser est la mort » (1ère partie, chapitre 2). Le roman montre comment le langage devient un instrument de pouvoir et de contrôle par le biais de la propagande. On oblige ainsi les individus à agir d'une certaine façon, à croire des choses parfois contradictoires. La technologie est ici au service des autorités pour s'assurer que chacun fait ce qu'on lui ordonne. C'est ce qui pousse Winston à écrire « la liberté, c'est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit » (1ère partie, chapitre 7). Le protagoniste s'évade dans ses rêves, où personne ne peut le voir, mais aussi dans ses écrits. Et comme chacun sait, les écrits restent...

1984_Orwell.jpg
 

Le roman de George ORWELL est une critique très claire des systèmes totalitaires et en particulier du système soviétique qui sévit alors en ex-URSS (l'actuelle Russie). Il met tout son talent à dénoncer le danger des États qui concentrent tous les pouvoirs et n'acceptent ni l'opposition, ni la libre pensée. A une époque où personne n'a d'ordinateur chez lui, que le réseau informatique n'existe pas, ORWELL a bien compris comment la technologie mal employée détruit toute vie privée.

Consultez ici  un Extrait de 1984 de George ORWELL

 

Un autre exemple nous est donné par Alfred Eton van VOGT (1912-2000), qui aborde la montée du nazisme et la question du racisme dans son roman À la poursuite des Slans (1946). L'histoire se déroule dans un avenir éloigné. Il est question de  « dégravité », d'astronefs, de voyage interplanétaire, on peut circuler sur la Lune, Mars, Vénus et jusque sur les lunes de Jupiter. A cette époque, les humains donnent la chasse à de curieux ennemis : les Slans. Ceux-ci ont une apparence humaine mais portent deux antennes dorées sur la tête. Ils ont un double cœur, vivent en moyenne 150 ans, ils sont télépathes et passent pour plus doués que les humains normaux. On raconte qu'ils volent les bébés pour les tuer. Au cours du récit, on nous dit même qu'ils ont été fabriqués par le savant Samuel Lann (dont ils tirent leur nom S. Lann = slan). La narration se concentre sur deux d'entre eux : d'abord Jommy Cross, 9 ans, qui après la mort de ses parents tente de survivre. Comme un Oliver Twist du futur, il est recueilli par une vieille qui l'oblige à voler. Parallèlement, Kathleen Layton, une autre Slan, évolue contre son gré dans la proximité du chef du gouvernement anti-slan. L'extermination programmée n'est pas sans rappeler la montée du nazisme en Allemagne et plus généralement la question du racisme. Pour vous en convaincre, lisez cet extrait :

Consultez ici : Un extrait de A la poursuite des Slans de A.E. VAN VOGT

 

  • Cyberpunk

Par ailleurs, la multiplication des ordinateurs personnels, la prise de conscience des univers virtuels, la propagation du réseau informatique font naître une branche très particulière de la science-fiction que l'on appelle cyberpunk. Neuromancien (1984) de William GIBSON (né en 1948) en est le roman fondateur. Il n'est pas approprié aux plus jeunes lecteurs à cause de la dureté et de la violence du propos, mais il développe des thèmes qui seront popularisés par la suite. L'univers futuriste décrit par GIBSON est cauchemardesque, certains ont donc fabriqué le mot dystopie, pour qualifier un lieu malheureux ou une époque pessimiste. A cette époque, les pirates informatiques(3) s'évadent donc en se branchant à leurs machines et ne vivent vraiment que dans le cyberespace.

Le film Tron (1982) des studios Disney mettait en scène un personnage plongé dans l'univers informatique et obligé de combattre des programmes dangereux. Plus tard, la trilogie Matrix (1999-2003) des frères WACHOWSKI poursuit l'idée d'un monde virtuel jeté devant nos yeux, dans lequel l'esprit circule comme les données d'un ordinateur. Ce sont les effets spéciaux novateurs qui fondent le style de ces films et donnent ainsi plus de poids au genre de la science-fiction.

En outre, les bandes dessinées Carmen McCallum (d'Olivier VATINE, Fred DUVAL, GESS puis EMEM, à partir de 1995) et Travis (Fred DUVAL et Christophe QUET, à partir de 1997) abordent la question des espaces cybernétiques avec beaucoup de pertinence. Tout en livrant une vision plausible des années 2050, les auteurs parviennent à créer une série d'aventures divertissantes. De plus, la colorisation assistée par ordinateur assurée par Pierre SCHELLE et Stéphane ROSA donne à l'ensemble un aspect authentique.

Si pour un élève de collège d'aujourd'hui, Internet a toujours existé, il est bon de revoir l'histoire du réseau depuis 1957 en suivant ce lien : http://www.inaglobal.fr/chronologie-embed/6701.

  • La quatrième dimension

A signaler la géniale série La Quatrième Dimension et en particulier l'épisode intitulé L'homme obsolète. Le créateur de la série, Rod STERLING, dépeint un futur indéterminé, clairement inspiré des témoignages du passé. M. Wordsworth (dont le nom nom signifie "la valeur des mots") est le personnage principal. C'est un bibliothécaire qui lors d'un jugement est déclaré obsolète et inutile, puisque les livres ont été interdits et n'existent plus. Comme dans Farenheit 451, posséder un livre est un crime. Les vues en contre-plongée prouvent le déséquilibre entre lui est ses accusateurs et les vues plongeantes contribuent à l'écraser davantage. Les décors droits, lisses et rigides montrent la sévérité de ce monde. Les représentants de l’État, bornés et sûrs de leur pouvoir, se placent explicitement dans la lignée de Staline et Hitler. Comme l'agent Smith de Matrix, avec la même gestuelle et la même façon de parler, le chancelier insiste sur la nécessité d'avoir un but si on veut servir la société. Le recours à la télévision pour diffuser l'exécution montre le prétendu rôle éducatif de la technologie. Comme pour Brazil, 1984 et tous les autres, le récit montre le combat d'un homme seul contre la gigantesque machine de l’État totalitaire. Quel sera le recours de ce pauvre M. Wordsworth ? A vous de le découvrir en regardant cet épisode.

 

La suite dans SCIENCE ET FICTION 3/5: À tous les temps, b. L'irréel du passé

 

 

Le mois prochain, vous lirez LES BELLES ET LES BÊTES, l'art de rendre beau le monstrueux...

NOTES :

1 : post-apocalyptique : littéralement, cela signifie après l'Apocalypse. Il s'agit d'un référence au dernier chapitre de la Bible, L'Apocalyspe de Saint Jean, dans lequel l'apôtre raconte sa vision de la destruction prochaine du monde. Même si le mot apocalypse signifie en grec "révélation", c'est l'idée de catastrophe planétaire qui demeure : voir la thématique C'EST L'APOCALYPSE !

2 : « Cette matière remplaçait presque partout le verre, le bois, l'acier et le ciment. »

3 : Au sujet des "vrais" pirates, source d'inspiration pour les hackers contemporains, voir LE POINT SUR LES ÎLES 3/4 : L'île aux pirates.

N. THIMON