Comment vous est venue l'idée de réaliser le récit Mascarade ?
L’idée de Mascarade a cheminé longtemps avant d’aboutir à sa forme actuelle. Le point de départ devait être un remake du Pays des Merveilles, où une partie des personnages d’origine se seraient trouvés confrontés à une enfant du vingt et unième siècle. Mais chemin faisant, les rapports ambigus entretenus par Lewis CARROLL(1) et Alice LIDDELL, ont pris le pas sur cette première ébauche et le projet a évolué, tout en conservant un aspect fantastique, vers une réflexion sur les rapports adultes-enfants et les passages de l’enfance à l’adolescence (et de l’adolescence à l’âge adulte) qui paraissent de plus en plus difficiles à franchir.


Pourquoi avoir choisi le thème du masque ?
Les masques exercent toujours une certaine fascination… C’est leur raison d’être ! Je cherchais un support, une clé, qui permettent d’accéder aux territoires interdits du monde des fées (ou du subconscient)  le choix des masques était à la fois plus simple et plus ludique que bâtir des portes qu’il aurait fallu situer dans des endroits précis.


En quoi estimez-vous que le masque est lié à l'histoire de l'humain ?
Je le suppose… L’époque exacte à laquelle ils sont apparus reste imprécise mais il est probable que nos plus lointains ancêtres utilisaient déjà des masques ou au moins des peintures faciales pour pratiquer des rituels religieux. Leur utilisation devait permettre de se décaler par rapport à la réalité, et en changeant d’aspect, d’acquérir les pouvoirs de l’animal ou du dieu auquel le shaman souhaitait s’identifier dans une quête très proche de celle menée par mon héroïne au cours de son histoire.


Vous êtes-vous inspirée de masques réels ou de situations authentiques pour raconter cette histoire ?

Je n’ai copié aucun masque précis mais l’inspiration vient dans ce cas de multiples sources : Qu’elles soient archaïques (parures tribales), vénitiennes ou carnavalesques, il n’y a que l’embarras du choix ! les souvenirs emmagasinés se mélangent d’eux-mêmes et par association d’idées, il suffit de penser à la Baba-Yaga(3) dans sa forêt pour imaginer le visage d’écorce d’une ogresse ou à un extra-terrestre enterré vivant pour visualiser une tête d’insecte. En ce qui concerne les situations, la seule qui soit autobiographique se situe au début de l’histoire, lorsque la grand-mère de Titou raconte que des personnages masqués investissaient autrefois en silence les maisons du village. Anecdote réelle dont ma propre mère gardait un souvenir marquant.


Y a-t-il des types ou formes de masques qui vous intéressent plus que d'autres ?

Je ne fais pas de classification. On serait tenté de trouver un masque d’origine ethnique ou religieuse plus fascinant qu’une tête de clown ou de cochon mais une fois porté, l’inquiétude et le mystère qu’ils suscitent demeurent les mêmes puisqu’ils dissimulent tous un être humain, devenu invisible, dont on ne peut savoir si les intentions sont amicales ou meurtrières… 


Avez-vous vous même réalisé des masques ?

J’aurais aimé mais le temps manque ! Je me suis contentée de réaliser des modelages de « petites têtes » qui pourraient servir de modèles à des masques.



Quelle signification donnez-vous aux masques en général et à ceux de votre album en particulier ?

Le masque peut avoir de multiples significations, qu’elles soient cultuelles, ludiques ou esthétiques, mais au-delà de celles-ci il met en évidence l’énigme que pose tout être humain et notre méconnaissance de ceux même que nous croyons connaître le mieux. Dans le cas de Mascarade, cette notion est finalement amoindrie et détournée par l’utilisation que l’héroïne fait de ses masques : Plutôt que des énigmes, ce sont des clés ou même des portes, qu’elle utilise brièvement et dont le mystère ne dure que le temps qu’il faut au lecteur pour deviner quel monde il va découvrir. Le seul qui s’apparente aux véritables masques est celui de l’ogre qui révèle la véritable nature de ceux qui le portent successivement, comme ceux des clowns monstrueux qui rôdent aujourd’hui…


Je remercie Florence d'avoir pris le temps de nous éclairer sur ce magnifique ouvrage que je vous invite à découvrir de vos propres yeux.

Vous pouvez avoir un aperçu de planches originales présentées à la Bibliothèque Guillaume-Apollinaire de Pontoise dans les photos jointes à cet article, merci à l'équipe  de la bédéthèque !


N. THIMON

NOTES :

1 : Lewis CAROLL (1832-1898) est l'auteur d'Alice au Pays des Merveilles.

2 : Dans plusieurs peuples d'Asie, le shaman (ou chamane) est un personnage chargé de communiquer avec les esprits.

3 : La Baba Yaga est une vieille femme inquiétante, entre sorcière et ogresse, qui apparaît dans les contes russes.