• L'Atlantide

PLATON est un philosophe grec qui a vécu entre le Ve et IVe siècle avant notre ère. Le projet qui émane de ses textes est d'indiquer la bonne conduite des hommes en les faisant réfléchir. Parmi ses écrits, deux dialogues entre Socrate et des disciples peuvent retenir notre attention puisqu'ils évoquent l'Atlantide.

Le narrateur  nous révèle que l'île a été peuplée par la descendance de Poséidon, dieu de la mer, plus de neuf mille ans plus tôt. Leur premier roi, Atlas donne son nom au peuple. Les hommes bénéficiaient de ressources naturelles illimitées, d'une organisation urbaine rigoureuse, de forces armées innombrables,  de la richesse d'un métal mystérieux, presque aussi précieux que l'or : l'orichalque ...

La puissance démesurée de ce peuple se voit jusque dans son architecture : Extrait de Critias : la richesse des Atlantes

Dans le second extrait, le narrateur s'attarde davantage sur la puissance de l'armée athénienne qui a été capable de vaincre ce peuple si puissant : Timée : splendeur et destruction de l'Atlantide

 

Thomas COLE (1801-1848) a réalisé une série de tableaux, des huiles sur toile, représentant Le Destin des Empires. L'apogée et La destruction (1836) en sont deux exemples. On assiste à la grandeur et à la décadence d'un peuple qui pourrait être celui des Atlantes. Le trait  réaliste et coloré, les nombreux détails viennent appuyer le propos.

 

 

 
























Monsu DESIDERIO (XVIIe s.) en donne une version encore plus sombre avec La chute de l'Atlantide (1) : 

 

Atlantis Monsu Desiderio.jpg
« Atlantide Monsu Desiderio » par Createur:Monsù Desiderio —  Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.

L'idée de la destruction est souvent mise en avant comme pour condamner l’orgueil d'une société trop en avance sur son temps. Nous devons donc constater que contrairement aux idées reçues, cette civilisation brillante ne constituait pas un modèle pour PLATON qui s'en sert plutôt de contre-exemple à ce que doit être une bonne république. Ce sont les auteurs des siècles suivants qui reprendront l'histoire et feront de l'Atlantide un endroit utopique.

  • L'empire de Mu

Scott O’DELL (1898-1989) est connu en France pour son roman The King's Fifth (titre traduit en français par La Route de l'or, 1966), basé sur la quête des sept cités d'or. On en a tiré une adaptation très libre en série animée franco-japonaise : Les Mystérieuses Cités d'Or (1983). Dans ce dessin animé, l'un des personnages, Tao, est le lointain descendant d'une civilisation perdue, l'Empire de Mu, un vaste continent qui se serait étendu sur l'Océan Pacifique. Les vestiges du peuple disparu font preuve d'une grande avancée technologique (engins volants comme le Grand Condor ou bateaux à énergie solaire comme le Solaris). Nous avons, par conséquent, le sentiment que Mu avait une situation idéale, un modèle pour les peuples environnants. Jusqu'à sa disparition dans un déluge de feu et d'eau.

Cette histoire très controversée a en grande partie trouvé sa source dans le livre du colonel britannique James CHURCHWARD (1851-1936) : Mu le continent perdu (1926). En interprétant des textes anciens tirés des quatre coins du monde, notamment Le Livre des Morts égyptien, l'auteur énumère un certain nombres d'affirmations pour tenter vainement de prouver l'existence de ce royaume extraordinaire.

"Le Jardin d'Eden n'était pas en Asie mais sur un continent aujourd'hui englouti au fond de l'océan Pacifique. Le récit biblique de la Création — les sept jours et les sept nuits — n'a pas pris naissance sur les bords du Nil ni dans la vallée de l'Euphrate mais sur ce continent disparu, Mu, la Mère-patrie de l'Homme". (Chapitre 1 : Alpha le commencement). Selon CHURCHWARD, Mu était le berceau de l'humanité. Les peuples qui y vivaient étaient des hommes blancs qui dominaient sur les autres et dont les connaissances scientifiques étaient très avancées. Cette société très évoluée a malgré tout rencontré sa fin de façon catastrophique. Lisez ci-dessous de quelle façon :

Mu le continent perdu, le cataclysme

 

Une autre version apparaît en bande dessinée avec Sous le signe du Capricorne (1979), une aventure de Corto Maltese, le célèbre marin créé par Hugo PRATT (1927-1995). Dans le chapitre intitulé Le Secret de Tristan Bantam, et qui se déroule au Brésil, le héros éponyme indique : "Dans ses notes mon père parle d'un royaume mystérieux appelé "Mu" qui se serait enfoncé dans la mer, détruit par une pluie de feu". Il a entre les mains une carte qui est inspirée de celle reproduite ci-dessus, d'après le livre de CHURCHWARD. Les notes du père de Tristan font également référence au Livre des Morts  et comportent les mêmes hiéroglyphes que ceux présentés par le colonel britannique. Jeremiah Steiner, un des compagnons de Corto Maltese, dit que "les théories de l'évolution de la surface terrestre, des catastrophes des continents, des effondrements sensationnels comme celui de l'Atlantide ou bien celui de Mu, passent pour des fables, des mythes... Sans pour cela cesser de présenter des aspects possibles" (chapitre II : Rendez-vous à Bahia). Plus tard, Tristan fait un rêve qui l'entraîne dans le monde de Mu. Le graphisme de PRATT rappelle les civilisations d'Amérique du Sud (voir le compte rendu de l'exposition : Mayas, Révélation d'un temps sans fin). PRATT complète l'expérience avec le 10e tome de la série : (1992). L'album n'est pas le préféré des amateurs, mais cette édition comporte de nombreux commentaires, photographies, témoignages qui donnent une vision très vaste des connaissances sur le continent perdu. Il reproduit un texte d'Eddy DEVOLDER intitulé Les Premiers Colons. L'auteur y explique qu'en 1864, l'abbé Charles-Etienne BRASSEUR de BOURBOURG, qui consulte la traduction du Codex Troano  (un traité d'astronomie maya), découvre le récit d'une terre qui disparait mystérieusement. Il fabrique le nom Mu à partir de deux lettres qu'il croit identifier dans le texte.

 

Encore aujourd'hui, des chercheurs essaient d'expliquer les origines des habitants de l'Île de Pâques ou des Îles Marquises, perdues en pleine mer. Comment ces peuples ont-ils pu arriver là avec de faibles moyens de transport ? L'idée d'une très grande terre entre les deux endroits est tentante pour plus d'un.

  • La cité d'Ys

Il s'agit d'une légende bretonne dont il existe de nombreuses versions. La trame la plus souvent racontée est celle du roi Gradlon qui fait construire pour sa fille Dahut la ville d'Ys au large des côtes de Bretagne. Comme la ville se livre à toutes sortes péchés et ne respecte pas Dieu, ses portes magiques sont ouvertes et la ville est définitivement engloutie.

Le récit s'attache ici aussi à montrer qu'une ville prospère et trop sûre d'elle finit par être victime de son orgueil. Les versions hésitent entre une vision christianisée et un folklore celtique. Les personnages féminins qui interviennent sont souvent associés à des êtres surnaturels, des fées ou des créatures venues d'un autre monde.

Sur ce tableau exposé aux Musée des Beaux-Arts de Quimper, nous pouvons voir Saint Guénolé, avec son auréole, demander au roi Gradlon de lâcher sa fille afin de permettre leur fuite. Le saint homme a la main tournée vers le ciel, en signe d'avertissement. Les nuages sont menaçants, comme avant une tempête ou une colère divine. Gradlon est penché dans un effort surhumain pour rattraper sa fille. Celle-ci est si proche du sol qu'on la croirait aspirée par la mer. Le spectateur a du mal à envisager qu'elle puisse remonter. D'ailleurs, la ligne de l'horizon est bien au-dessus de sa tête, comme pour montrer qu'elle est déjà noyée. La forme et la proximité des vagues qui talonnent les montures, rappellent l'idée d'une marée qui monte à la vitesse d'un cheval au galop. Les postures démontrent le mouvement et donnent à l'ensemble un aspect dynamique et dramatique.  A l'arrière-plan sur la gauche, on aperçoit la ville maudite qui disparaît progressivement de la vue, engloutie par une mer déchaînée.

Édouard LALO (1823-1892) en livrera sa propre version dans un opéra en trois actes, Le Roi d'Ys en 1878, d'après un livret d'Édouard BLAU (1836-1906). Le sujet porte davantage sur des histoires d'amour contrarié et de jalousie. Jusqu'au moment où un crime provoque la montée des eaux dans la ville.

 


Le motif de la cité engloutie est donc très courant et se retrouve encore dans d'autres cultures. Il est repris dans d'innombrables fictions, sur toutes sortes de supports.
Certains artistes modèlent l'environnement pour créer une œuvre durable ou contraire éphémère. L'ouvrage Land art et art environnemental, conçu par Jeffrey KASTNER (éditions Phaidon) donne un aperçu de ces trouvailles insolites. Par exemple, The Map of Broken Glass - Atlantis (La carte de verre brisé - Atlantide) (1969) de Robert SMITHSON (1938-1973) est un amas de verre cassé d'environ 5,4 x 6 m, visible à Lovelandies Island dans le New Jersey. Cela représente une carte imaginaire, traversée par les rayons du soleil, avec des reliefs. L’œuvre avait été commandée par une fondation américaine d'arts et de sciences qui s'intéressait entre autres au mythe de l'Atlantide. SMITHSON a également réalisé Sunken Island (L'île engloutie) (1971),  un ensemble de rochers entassés, d'un diamètre d'un 1,5 m. Le tas se trouvait dans un lagon à Summerland Keys en Floride. Le mélange entre les pierres, les algues, les plantes visait à montrer leurs relations mutuelles.
Vous êtes cordialement invités à ajouter les versions marquantes que vous connaissez dans les commentaires(2). Aujourd'hui, ce schéma narratif reste empreint de mystère et sa morale sert à montrer à la fois la puissance d'ancêtres illustres et leur orgueil démesuré.

 

 



Après l'engloutissement des grandes civilisations, assistez à l'émergence des nouvelles cités dans LES UTOPIES DES MONDES MEILLEURS ? 3/3 : Villes et merveilles.

 

N. THIMON

 

NOTES :

1 : Monsu DESIDERIO = Monsieur Didier, d'après le Petit Robert des noms propres, est le pseudonyme derrière lequel se cachent deux auteurs français Didier Barrat et François de Nome. Leurs travaux sont souvent des représentations de catastrophes et de ruines.

2 : Un exemple avec J.R.R. TOLKIEN dans son recueil posthume Le Silmarillion dans le chapitre "Akallabêth". Le romancier raconte l'engloutissement de l'île de Numenor. Le roi humain de cette île voulut s'en prendre aux Valar et provoqua la colère du créateur. Numenor qu'on appelle aussi Atalantë disparut à jamais dans les flots.