Carte de l'Océan Atlantique ou Mer du Nord (1693), Pierre MORTIER ; www.geographicus.com
Carte de l'Océan Atlantique ou Mer du Nord (1693), Pierre MORTIER ; www.geographicus.com

 

L'Île au trésor de STEVENSON

Mais cette hypothèse doit beaucoup au roman de Robert Louis STEVENSON (1850-1894), L'île au trésor (1883), qui demeure la référence littéraire dans ce domaine.
Le narrateur, Jim Hawkins, des années après, accepte de relater ses aventures vers l'île au trésor. Au départ, il aide sa mère à l'auberge de l'Amiral Benbow quand il fait la connaissance de Billy Bones un vieux flibustier tatoué au visage balafré  et qui chante : "Nous étions quinze sur le coffre du mort/Yo-ho-ho et une bouteille de rhum ! (1). L'étrange personnage conserve jalousement un coffre mystérieux et met en garde le jeune garçon contre "l'homme de mer à une jambe" (chapitre 1). Sur son lit de mort, il explique avoir été sous les ordres du capitaine Flint à bord du Walrus et être le seul à connaître l'emplacement du trésor des pirates. Puis il reçoit de la part d'un aveugle "la tache noire", un petit rond de papier, une menace de mort en cours chez les pirates (chapitres 3 et 4). Jim est contraint de fuir avec sa mère en emportant le coffre du capitaine. Il se réfugie auprès de l'honnête Docteur Livesey et son ami le chevalier Trelawney. Les deux hommes lui racontent la légende qui entoure le terrible pirate Flint. Ils trouvent dans son coffre une carte portant la mention : "Ici le principal du trésor". Au verso sont écrites des instructions :

 

"Grand arbre, contrefort de la Longue-Vue ; point de direction N.-N.-E. quart N.

Île du Squelette, E.-S.-E. quart E.

Dix pieds.

Les lingots d'argent sont sous la cache nord. Elle se trouve dans la direction du mamelon est, à dix brasses au sud du rocher noir qui lui fait face.

On trouvera sans peine les armes, dans la dune de sable, à l’extrémité N. du cap  de la baie nord, direction E. quart N.

J. F." (chapitre 6)

La décision est aussitôt prise de partir vers cette île à bord d'une goélette nommée Hispaniola. Incapable de tenir un secret, Trelawney se rend à la taverne de la Longue-Vue et y engage un maître-coq (un cuisinier) Long John Silver et quelques compagnons. L'homme a la jambe gauche coupée au niveau de la hanche et s'aide d'une béquille, cette image a souvent fait croire qu'il avait une jambe de bois, mais il ne s'agit que d'une métaphore (chapitre 8). Malgré les mises en garde et la méfiance du capitaine Smolett, Jim et ses compagnons voient en Long John un très aimable compagnon de voyage. Il sait motiver les hommes, cuisine bien et possède un perroquet appelé Capitaine Flint qui répète sans cesse "Pièces de huit ! pièces de huit !" (chapitre 10). La troisième partie du roman est consacrée à l'aventure de Jim à terre et commence par la description de l'île où se dérouleront les vraies aventures :

L'Île au trésor : l'arrivée de Jim Hawkins

LÎle au trésor (2010) Tourbillon, couverture de Vincent DUTRAIT

LÎle au trésor (2010) Tourbillon ; couverture de ©Vincent DUTRAIT

Acrylique, pinceaux et crayons sur papier ; reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

 

C'est une image disons plus « générique » à la manière d'une affiche de film, présentant le casting avec le jeune Hawkins sur l'île et la présence de Silver en arrière-plan. Les couleurs et l'ambiance dans une optique de donner un souffle épique, faire ressentir l'aventure avec un grand A...

Vincent DUTRAIT pour Lettres d'Arts

Pour découvrir d'autres superbes illustrations, visitez le site officiel de l'artiste : http://www.vincentdutrait.com/blogv2/

 

Sans révéler toutes les péripéties, on peut indiquer que la suite du récit mettra en péril le jeune Jim et ses honnêtes compagnons, une lutte sans merci pour s'emparer du trésor. Amitiés et trahisons, combats et alliances viennent rythmer le roman. La relation entre Long John Silver et Jim se montre assez complexe et fait de ce simple cuisinier - en apparence un personnage sympathique et charismatique - un être fascinant et énigmatique appelé à une grande longévité artistique. Le passage sur  l'île constitue pour Jim une expérience initiatique, le roman est un  récit d'apprentissage qui nous montre comment le héros évolue et devient un adulte(2).

Illustration de Howard PYLE (1853-1911) : William Kidd surveille l'enfouissement d'un trésor

Illustration de Howard PYLE (1853-1911) :

William Kidd surveille l'enfouissement d'un trésor

 
 

Les romans de MAC ORLAN

Pierre DUMARCHEY  (1882-1970), sous son pseudonyme écossais Pierre MAC ORLAN, est en fait un romancier d'aventures français qui ne cache pas l'influence de STEVENSON. Plusieurs de ses textes racontent des voyages de pirates. À bord de l’Étoile Matutine (1920) est un récit pessimiste et violent (Le scénariste et dessinateur RIFF REB'S (1960-) en a réalisé une adaptation talentueuse(3)). Le narrateur nous entraîne à sa suite et nous montre sans masque le dur quotidien des brigands. La honte, les meurtres, les quêtes vaines, la rencontre de fantômes sont les éléments qui constituent un texte pour lecteurs avertis et plus âgés.  Mais avec Les clients du bon chien jaune (1946), il offre un texte plus accessible :

1756, Kerninon, côte du Léon, Bretagne. À la mort de son père, le narrateur, le jeune Louis-Marie Benic âgé de 14 ans, doit se rendre à Brest, chez son oncle le patron de l'auberge du"Bon Chien Jaune". Situé dans un quartier mal famé,  tout près du bagne (prison de travaux forcés), ce nouveau domicile le met rapidement en présence de personnages peu recommandables. Il y apprend à se battre et parler l'argot. Deux ans plus tard, il comprend que son oncle est un bandit et, après avoir intercepté et déchiffré une lettre secrète, il embarque par ruse sur le bateau pirate. L'un des marins le fait accepter par l'équipage :

"Ce petit est brave et loyal.  C'est le neveu de Benic. Il  ne nous trahira jamais. Je vous demande de l'accepter parmi nous et de lui faire jurer sur la Bible fidélité au pavillon noir" (Chapitre IV  : "Ratcliff Highway").

La première destination est Londres où il fera la connaissance de son nouveau capitaine : Mathieu Miles dont une cicatrice barre le visage.

Un extrait des Clients du Bon Chien Jaune : Le Hollandais Volant

Les clients du bon chien jaune, Pierre McOrlan ©Gallimard, Folio Junior
Les clients du bon chien jaune, Pierre McOrlan ©Gallimard, Folio Junior

Découvrez, en lisant ce court roman, quelle tromperie(4) les pirates emploient pour effrayer les navires marchands et de quelle façon sont traités les passagers. Louis-Marie, malgré ses remords, devient un bandit qui croise "dans cette mer brumeuse autour des îles d'Ouessant, de Molène, de Banalec". C'est sur l'une d'entre elles qu'il est contraint de chercher refuge pour fuir cette horrible vie.

 

Peter Pan et les pirates

Le roman Peter Pan et Wendy (1911) de Sir James Matthew BARRIE (1860-1937) montre bien aussi la manière dont les pirates, menés par le Capitaine Crochet, à bord du navire Jolly Roger sont des brigand prêts à tout pour piller l'île des garçons perdus,  le pays de l'Imaginaire (voir l'article LE POINT SUR LES ÎLES 4/4 : L'île aux enfants). Peter Pan prétend que c'est lui qui lui a tranché la main de Jacques Crochet ; autrefois, celui-ci était au service de Barbenoire (chapitre 4 : "le voyage dans les airs"). Il est si terrible qu'il serait "le seul homme qu'ait jamais craint le Cuistot-des-mers", autrement dit Long John Silver. Pour comprendre la peur qu'inspire ce personnage, lisez son portrait  :

Un extrait de Peter Pan : le portrait du Capitaine Crochet

Et tous s'amusent à chanter :

"La pavillon à tête de mort !

La belle vie une corde chanvre !

et l'on va boire la grande tasse !"

Parmi les pirates qui hantent l'île (dont la liste est faite au chapitre 5 : "l'Île pour de vrai"), l'un d'entre eux se nomme Bill le Truand et aurait servi à bord du Walrus de Flint. Le jeu d'influences et de reprises est un pratique courante et constitue un des moteurs de la création artistique.

Un drôle d'héritage

On le voit bien avec Pirates des caraïbes  qui est avant tout une attraction des parcs Disney en 1967. Le succès commercial a conduit à réaliser une série de films, à partir de 2003, qui reprend allégrement les principaux motifs et personnages de récits de pirates : le décor des Caraïbes, une île avec un trésor, la lutte contre la Compagnie des Indes Occidentales ou contre l'Espagne, le personnage de Barbe-Noire, le code des pirates... Les réalisateurs y ajoutent  des éléments surnaturels issus des différentes légendes : le kraken, les sirènes, la fontaine de Jouvence, le Hollandais-volant et les pirates damnés. Pirates (1986) de Roman POLANSKI, L'Île aux pirates (1996) de Renny HARLIN ne sont que quelques uns des nombreux exemples d'adaptation cinématographique.

Le Hollandais Volant dans Pirates des Caraïbes
Le Hollandais Volant dans Pirates des Caraïbes

Il y a aussi de très nombreuses versions dessinées : Le secret de la Licorne (1943) et sa suite Le trésor de Rackham le Rouge (1944), sont deux aventures de Tintin. Grâce au récit laissé par le chevalier François de Hadoque, le jeune reporter et son ami le capitaine Haddock  et se mettent sur les traces d'un trésor laissé par le pirate du XVIIIe siècle Rackham le Rouge. Entretemps, ils font la connaissance bien malgré eux du Professeur Tryphon Tournesol qui les aidera avec son sous-marin en forme de requin. Messages codés, plongée sous-marine, île perdue sont les ingrédients typiques de ce récit d'aventures.  Steven SPIELBERG (1946-) en donne une adaptation très libre au cinéma avec Les aventures de Tintin : Le secret de la Licorne (2011). Les progrès techniques des images de synthèse, effets 3D et motion capture (capture  et numérisation des mouvements des acteurs pour animer les personnages dessinés) font de ce long-métrage un moyen de réactualiser un classique de la bande dessinée.

On peut citer en outre une autre aventure de Corto Maltese : Sous le signe du Capricorne (1979) de Hugo PRATT. Dans l'épisode intitulé "...Et nous reparlerons des gentilshommes de fortune", le héros, qui se dit lui-même pirate, révèle l'existence de quatre cartes à jouer en os de baleine, chacune figurant un as et portant des indications vers un trésor. Au XVIIIe siècle, le navire espagnol Fortune royale, pris par des pirates Black Beard Teach, Calico Rackham Jack et Agonie la Belle, transportait de grandes richesses, cachées ensuite sur une île. Corto Maltese se met en quête du trésor et croise sur sa route des personnages hauts en couleurs comme la sorcière Bouche Dorée ou la mystérieuse Ambiguïté de Poincy... Le récit de PRATT, comme toujours très documenté, fait référence à l'histoire et aux légendes, voire aux mythes (comme Mu, le continent perdu :  LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ? 2/3 : Les cités englouties).

De cape et de crocs (depuis 1995) de Alain AYROLES et Jean-Luc MASBOU met aussi en scène, de façon drôle et pertinente à la fois, des pirates. Que ce soit le raïs Kader ou le Captain Boone et sa bande de pirates, ils sillonnent les mers en quête du trésor des Îles Tangerines.

One Piece (tome16), Eiichirô Oda © Glénat
One Piece (tome16), Eiichirô Oda © Glénat

C'est encore l'humour qui prévaut dans One piece (depuis 2000)  de Eiichiro ODA. Le récit s'ouvre sur la déclaration de Gold Roger le Seigneur des pirates : Mon trésor ? Si vous y tenez, vous n'avez qu'à le prendre... Mais il vous faudra d'abord le chercher, car je l'ai caché quelque part dans ce vaste monde". "Et c'est ainsi qu'une grande vague de piraterie s'abattit sur le monde entier" (traduction de Sylvain CHOLLET). Quelque temps plus tard, dans un village de pêcheurs, le tout jeune Monkey D. Luffy, désireux d'être lui aussi un grand flibustier se balafre le visage pour prouver son courage et être accepté par les pirates renommés. Après avoir avoir mangé par erreur le fruit du démon, il devient un homme-élastique, incapable de nager mais doté de facultés pratiques pour échapper au danger. Les années passent et pour accomplir son projet, il doit trouver le "One Piece", le trésor parmi les trésors pour acquérir gloire, fortune et puissance. Sa route pour recruter des pirates le conduit d'île en île. Sur un ton humoristique avec un graphisme amusant et dynamique, le récit reprend les codes, les thèmes et les personnages connus du récit de pirate, mais il le fait de façon originale.

 

  • Le rêve des pirates

 

Les pirates courent après des chimères, ils rêvent éveillés d'un monde parfait pour eux. L'utopie des pirates est un sujet qui pose de nombreuses questions. Pour s'en rendre compte, lisez le récit de Libertalia, la république parfaite, dans LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ? 1/3 : L'île idéale.

Albator (2013), affiche du film
Albator (2013), affiche du film

La science-fiction saura reprendre le motif du pirate. Un exemple avec Capitaine Albator le pirate de l'espace (1977-1979, Captain Harlock en version originale).  D'abord un manga, ensuite deux séries animées à succès Albator 78 et Albator 84 de Leiji MATSUMOTO (1938-), puis un long-métrage : Albator, Corsaire de l'espace (2013) de Shinji ARAMAKI. Ce n'est pas d'île en île que circule le "Pirate de l'espace", mais de planète en planète. Le manga commence ainsi :

An de grâce 2977... "Lorsque toutes les mers du globe eurent disparu, les hommes pensèrent que la fin du monde était arrivée. Ils s'apitoyèrent sur leur sort, sans même songer à l'espace infini qui s'étendait au-dessus de leurs têtes... Seule une poignée d'hommes, croyant en l'avenir radieux du genre humain, eurent le courage d'aller explorer la "mer du dessus". Alors, les autres ricanèrent en disant : "Ce sont des fous qui courent après un rêve irréalisable". Et nous avons été considérés comme des hors-la -loi...". Le héros se définit lui-même de la façon suivante : "Je suis un homme libre dans le sombre océan de l'univers, cette mer sans lendemain, que je parcourrai jusqu'au jour où je rendrai mon dernier souffle. Je vis comme un vrai homme sous ma bannière : la bannière de la liberté !" (traductions de Sylvain CHOLLET)

La chanson française de la série télévisée nous présentait le personnage comme le "capitaine corsaire", peut-être pour le rendre plus sympathique, Dans le film, c'est un rebelle qui affronte la coalition Gaïa, il vit en marge de la société pour défendre la liberté. Combats dans l'espace, scènes d'abordage, tout y est. Le héros affiche tous les attributs des brigands des mers : un bandeau sur l’œil, une balafre sur la joue, une tête de mort sur ses vêtements et même un oiseau sur l'épaule. Son vaisseau spatial se nomme en français Atlantis, ce qui envoie à la mythique civilisation de l'Atlantide (voir LES UTOPIES, DE MONDES MEILLEURS ? 2/3 : Les cités englouties).  Dans la version japonaise, il se nomme Arcadia, référence à l'Arcadie, une région de Grèce qui passait pour le lieu de l'Âge d'or (voir AU MATIN DU MONDE 2/3 : Le paradis sur terre, a. l'Age d'or, le temps des plaisirs). Dans toutes les versions, le capitaine a un but  : trouver une planète idéale.

Pour finir, il faut citer Michel LE BRIS qui est l'un des fondateurs du festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Son travail l'amène à côtoyer tous les récits de voyages et notamment ceux des pirates. La fonction de pirates pose de nombreuses questions politiques, sociales, économiques, philosophiques. Pour le pirate, l'île devient un paradis perdu au milieu des mers, un espace où recréer le monde tel qu'il l'entend. En défiant la loi, par un effet de miroir, le pirate nous renvoie une certaine image de notre société et nous invite à nous interroger sur son fonctionnement.

 

Je remercie grandement Vincent DUTRAIT pour son autorisation de diffuser son illustration de couverture de L'Île au trésor.

Dans une semaine, vous poserez un regard naïf sur les îles avec LE POINT SUR LES ÎLES 4/4 : L'île aux enfants.

 

Le mois prochain vous lirez LES AMANTS ÉTERNELS.

 

 

N. THIMON

 

NOTES :

1 : En anglais, coffre du mort se traduit par "dead man's chest", qui est aussi le titre du deuxième épisode de Pirates des Caraïbes (2006) de Gore VERBINSKI.

2 : Les reprises et adaptations de l'île au trésor sont innombrables ; L'Île au trésor (1950) de Byron HASKIN ; Disney encore une fois propose par exemple une transposition en science-fiction avec La Planète au trésor (2002) de Ron CLEMENTS et John MUSKER ; en bande dessinée, on peut citer, pour les plus jeunes, la version de David CHAUVEL et Fred SIMON L'Île au trésor (2007-2009). Et pour les plus âgés, le cas flamboyant de Long John Silver (2007-2013) de Xavier DORISON et Mathieu LAUFFRAY qui raconte les dernières violentes aventures du marin, voir aussi le compte rendu de l'exposition

3 : Vous êtes invités à découvrir sa version du Loup des mers (2012) d'après Jack LONDON ou son recueil Hommes à la mer (2014) qui reprend des nouvelles de Edgar Allan POE, R. L. STEVENSON et d'autres...

4 : La même ruse est employée dans la série BD De cape et de crocs de A. AYROLES et J-L MASBOU, tome 3 : L'archipel du danger.