Bill SANDERSON est un illustrateur dont vous pouvez visiter le site officiel ici : http://www.billsandersonart.com. Son illustration Les circonvolutions cérébrales du Penseur comme un labyrinthe de choix dans l'éthique biomédicale (1997), réalisée sur papier à gratter, résume de la meilleure façon le caractère inextricable de la pensée humaine. Le titre à rallonge est déjà un indice. L'image témoigne des débats qui agitent le monde médical, concernant les interventions possibles ou non. 

Les circonvolutions cérébrales du Penseur comme un labyrinthe de choix dans l'éthique biomédicale, dessin sur carte à gratter Bill SANDERSON (35.7 x 25.3 cm ; Wellcome Library de Londres; © Copyright the Wellcome Trust Limited 1997) ; CC BY 4.0

Les circonvolutions cérébrales du Penseur comme un labyrinthe de choix dans l'éthique biomédicale (1997) ; 

(The gyri of the thinker's brain as a maze of choices in biomedical ethics) 

dessin sur carte à gratter ;  Bill SANDERSON

(35.7 x 25.3 cm ; Wellcome Library de Londres; © Copyright the Wellcome Trust Limited 1997) ; CC BY 4.0

Premièrement, on y retrouve le célèbre Penseur de RODIN, qui renvoie à nos activités de réflexion. Ensuite, les multiples replis de notre cerveau (en latin, les gyri)  sont dessinés de telle sorte qu'ils rappellent la forme d'un labyrinthe. C'est ce que nous révèle Zeus dans les mots suivants

Le labyrinthe en fait était votre image, inscrite dans l'espace et la pierre. Or ni les régions de votre cerveau, ni les viscères de vos entrailles ne sont disposées selon des tracés simples, et vos idées, et vos humeurs ou les germes de votre progéniture n'y cheminent par voies directes et rectilignes

Les mémoires de Zeus - le jour des hommes (1967), Maurice DRUON

La présence d'objets au symbole clair comme la girouette, le télescope ou encore le panneau indicateur, viennent appuyer la question de l'orientation. L'ensemble a un aspect ombrageux à cause du fond nuageux ; il confirme l'intense et difficile activité de l'esprit et le manque de sérénité dans les décisions à prendre. La complexité de notre cerveau, les détours de notre esprit, sont autant des moteurs que des freins. Ils n'en demeurent pas moins de passionnants terrains de recherches.

C'est un peu de cette façon qu'est présenté le dédale dans l'album Le labyrinthe (2012, pour public averti), deuxième tome de la série La Grande Evasion. Le scénariste Mathieu GABELLA avec les dessins de Stefano PALUMBO, imagine des chercheurs qui partent sur les traces du tombeau de Dédale. Le scénario inattendu donne un sens particulier au labyrinthe et montre surtout en quoi il permet à notre cerveau d'évoluer...

Un symbole religieux

Labyrinthede la cathédrale de Chartres ; photo prise par Asaf Braverman flikr : https://www.flickr.com/photos/theheartindifferentkeys/7253861814

Labyrinthe de la cathédrale de Chartres ;

photo prise par Asaf Braverman

flikr : https://www.flickr.com/photos/theheartindifferentkeys/7253861814

Il est donc intéressant de voir comme le labyrinthe a vite pris l'aspect d'un chemin spirituel, notamment dans le cadre religieux. Certaines cathédrales comportent des labyrinthes sur le sol ou sur un mur. On pourrait s'étonner de la présence d'une représentation païenne et sans rapport avec la religion chrétienne.

Labyrinthe digital Duomo Lucca ; Cathédrale de Lucques

Labyrinthe digital de Duomo Lucca

(Cathédrale de Lucques)

Mais ce serait oublier l'intelligence des théologiens qui ont bien compris la puissance des images antiques, surtout si elles prouvent que le salut doit se mériter. Que ce soit avec le doigt — pour le labyrinthe digital à l'entrée de la cathédrale de Lucques, en Italie — ou que ce soit à genoux — pour la cathédrale de Chartres — parcourir le labyrinthe s'apparente à une épreuve au terme de laquelle l'âme se trouve purifiée, elle accomplit progressivement son chemin vers Dieu.

Pour d'autres, au contraire, le labyrinthe fait courir le risque de s'éloigner de Dieu. L'errance s'apparente à une façon de trouver sa place dans le monde.

C'est pourquoi Le Nom de la Rose (1982 en France) célèbre roman historico-policier de Umberto ECO (1932-2016) apporte une vision incontournable des labyrinthes.  L'auteur ne cachait pas son admiration pour le travail de BORGES expliqué dans LABYRINTHES 3/4 : L'art de s'égarer. Au XIVe siècle, Guillaume de Baskerville et Adso de Melk, deux moines franciscains, mènent l'enquête sur des morts suspectes dans une abbaye italienne. La version cinématographique, Le Nom de la Rose (1986), signée par Jean-Jacques ANNAUD (1943-) rend justice à cet ouvrage impressionnant et riche, en choisissant des acteurs au visage insolite, des "gueules"  comme on dit familièrement. Un exemple avec l'acteur canadien Ron PERLMAN (qui interprète aussi Hellboy, par exemple).

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Un vieil aveugle annonce aux moines enquêteurs que l'accès à la bibliothèque est interdit. "La bibliothèque est un grand labyrinthe, signe du labyrinthe du monde. Tu entres et tu ne sais pas si tu en sortiras" (Deuxième jour, Après vêpres)

Quand malgré tout, ils finissent par y entrer, les deux protagonistes traversent une succession de pièces à cinq ou sept côtés assez semblables les unes aux autres. Ils tentent en vain de se repérer grâce à des inscriptions souvent identiques sur les murs. Pour accroître la difficulté et les illusions, des miroirs déformants sont placés par endroits ou encore des vapeurs d'herbes hallucinogènes.

Le Nom de la rose, Umberto ECO © Livre de Poche
Le Nom de la rose, Umberto ECO © Livre de Poche

 

Je n'arrive pas bien à m'expliquer ce qui se passa, mais comme nous quittions la tour, l'ordre des pièces se fit plus confus. Certaines avaient deux, d'autres trois portes. Toutes avaient une fenêtre, même celles où nous nous engagions en partant d'une pièce avec fenêtre et en pensant aller vers l'intérieur de l'Édifice. Chacune avait toujours le même type d'armoires et de tables, les volumes entassés en bon ordre paraissaient tous pareils et ne nous aidaient certes pas à reconnaître le lieu d'un coup d'œil.

(Deuxième Jour, Nuit), traduction de Jean-Noël SCHIFANO.

Conformément à ce que la thématique LABYRINTHES a démontré, le labyrinthe pose autant de pièges que d'énigmes. Dans ce roman, pour s'y repérer, il faudra faire appel aux lumières de l'esprit. La connaissance des livres, l'intelligence, la sagesse et le sang-froid sont les qualités qui aident les héros à sortir.

Dans son apostille (sorte de postface explicative) Umberto ECO dresse une typologie des labyrinthes. La partie intitulée "la métaphysique policière"  nous  dit qu'il existe trois types de labyrinthes :

  1. "Celui de Thésée" a une entrée qui mène au centre avec le terrifiant Minotaure, puis une sortie. Il se déroule comme un fil d'Ariane.
  2. Le labyrinthe "maniériste" est semblable à un arbre,  avec de nombreuses impasses et une sortie unique.
  3. Le réseau ou rizhome (tige souterraine et horizontale qui se déploie en racines), dans lequel tous les chemins sont connectés, n'a pas de vraie sortie et peut être infini.

C'est à ce troisième type qu'appartient le labyrinthe de la bibliothèque dont il est question dans Le Nom de la Rose. Ce qu'il met en avant c'est aussi bien l'esprit de ceux qui l'ont conçu pour tromper, que l'intelligence de ceux qui peuvent y échapper.

 

Nouvelle vie, autre mort

C'est bien une forme de prison souterraine que décrit Henri MICHAUX (1899-1984), dans son poème "Labyrinthe" issu du recueil Epreuves, Exorcismes (1946). Observez comme il reprend les motifs récurrents du mythe.

Labyrinthe, la vie, labyrinthe, la mort

Labyrinthe sans fin, dit le Maître de Ho.

Tout enfonce, rien ne libère.

Le suicidé renaît à une nouvelle souffrance.

La prison ouvre sur une prison

Le couloir ouvre un autre couloir.

Celui qui croit dérouler le rouleau de sa vie

Ne déroule rien du tout.

Rien ne débouche nulle part

Les siècles aussi vivent sous terre, dit le Maître de Ho.

De plus, remarquez que, chez MICHAUX, la prison s'impose non seulement au corps, mais aussi plus largement à la vie humaine dans une vision fataliste

Avec Shining (1980, interdit aux moins de 12 ans) de Stanley KUBRICK (1928-1999)— adaptation du roman homonyme de Stephen KING, sorti en 1977 — vous aurez dans un film d'horreur stylisé, une vision marquante du labyrinthe. Jack Torrance est employé pour garder un hôtel hors de la saison touristique. Il y vit seul avec sa femme et son jeune fils, jusqu'à ce que des faits étranges viennent hanter le quotidien familial. Une des scènes clés de ce film montre Jack, possédé par des forces maléfiques, qui poursuit ses proies dans le labyrinthe végétal.

Que cherche-ton alors dans un labyrinthe ? S'il est vrai que souvent on y rencontre la mort, il arrive aussi parfois qu'on y trouve une nouvelle vie.

Robert SILVERBERG (1935-) traduit peut-être cette vision dans son roman de science-fiction, L'homme et le labyrinthe (1970 en France). L'incipit est précis et révélateur :

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Muller vivait depuis neuf ans dans le labyrinthe. Maintenant il le connaissait bien. Il savait ses pièges, ses méandres, ses embranchements trompeurs, ses trappes mortelles.  Depuis le temps, il avait fini par se familiariser avec cet édifice de la dimension d'une ville (Chapitre 1) ; traduit par Michel RIVELIN.

Le héros, Richard "Dick" Muller s'est exilé de la Terre pour chercher refuge sur la planète Lemnos où les journées durent 30 heures et les années 200 jours. Il veut "simplement qu'on le laisse seul et en paix" (chapitre 2). Le lieu mesure plusieurs centaines de kilomètres de diamètre, en voici la description : 

"Le labyrinthe proprement dit est entouré par une série d'anneaux concentriques, dont la circonférence externe doit atteindre un millier de kilomètres et qui sont composés de murs en pierre atteignant cinq mètres de haut"  dit Charles Broadman (chapitre 1).

Le mystère reste entier quant aux origines de la cité et de ceux qui l'ont construite. Les fossiles datent d'un million d'années et les bâtiments montrent une incroyable résistance à l'érosion, comme si le temps n'avait pas d'emprise sur les lieux. Muller déduit que seuls les cadavres d'êtres doués d'intelligence sont laissés en vie, comme un avertissement, et il cite : VOUS QUI ENTREZ ICI ABANDONNEZ TOUTE ESPERANCE, d'après la très célèbre inscription de la Porte des enfers dont parle DANTE (voir DESCENTES AUX ENFERS 3/4 : L'Enfer de Dante).

Les curieux de tous bords, archéologues, etc, sont poussés à "percer le secret caché entre ces galeries diaboliquement entrecroisées" (chapitre 2). Difficile, lorsque l'on remarque qu'un champ protecteur anéantit tous les engins volants ou souterrains qui tentent d'approcher. Muller a appris à se servir des pièges pour capturer des animaux et les manger, repousser ses ennemis...  Il en fait une forteresse pour se protéger du contact avec les autres.

Le labyrinthe devient une métaphore de l'esprit humain et de la complexité des relations entre les individus.

 

"Rêver peut-être"

Inception (2010) Christopher NOLAN : "Le rêve est réel"
Inception (2010) Christopher NOLAN : "Le rêve est réel"

Christopher NOLAN, dans son film Inception (2010)  a mis en scène les profondeurs de l'esprit humain, accessibles par le rêve. Il développe la notion selon laquelle on peut implanter une idée dans l'esprit d'une personne afin qu'elle croie l'avoir eue elle-même. Les victimes sont plongées dans un sommeil artificiel, partagé avec les agents qui s'infiltreront dans leur inconscient. Afin d'honorer un contrat majeur, le héros, Dom Cobb, fait appel à une jeune étudiante qui se nomme comme par hasard Ariane. Son test de recrutement consiste à dessiner un labyrinthe qui prendrait plus d'une minute à être résolu. Cette dernière jouera le rôle de l'architecte, capable de construire des villes entières dans le monde des rêves.

A cette occasion, on retrouvera des escaliers qui tournent sans fin, une autre citation du travail de M.C. ESCHER (voir aussi LABYRINTHES 1 et 2). 

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Quand le besoin se fera sentir, c'est elle aussi, comme son homologue mythologique, qui sera chargée de guider les héros en perdition.

On pourra également s'amuser de voir que le logo de Syncopy, la société de production fondée par Christopher NOLAN et Emma THOMAS, reproduit un labyrinthe.

Logo Syncopy
Logo Syncopy

En définitive, le film pose de multiples questions et propose un labyrinthe qui dépasse les trois dimensions traditionnelles. L'interconnexion des individus, les strates successives de l'inconscient, les pouvoirs du rêve sont ainsi à l'honneur et forment le plus complexe des dédales.
 

Conclusion

Nous avons vu à tout au long de cette thématique que la figure du Minotaure est à la fois le symbole du but à atteindre et de l'ennemi à vaincre. Le labyrinthe constitue le lieu auquel on se confronte, une épreuve qui aide à grandir. Par ailleurs, le labyrinthe s'envisage comme ornement stylistique, un révélateur des talents et une forme de langage. Grâce à lui, c'est la complexité intellectuelle propre à l'humain qui s'affirme. Pour George SAND (de son vrai nom Aurore DUPIN, 1804-1876), dans Histoire de ma vie (1855), partager son vécu est un « guide pour les autres esprits dans le labyrinthe de la vie ». Le labyrinthe favorise l'errance du corps mais aussi de l'esprit. Voyager, se tromper, recommencer sont les clés permettant d'apprendre et évoluer. Au bout du compte, si l'on se perd dans le labyrinthe n'est-ce pas pour mieux se retrouver ?