• Hélène

Le meilleur exemple est sans doute celui d'Hélène dans la mythologie grecque. Le jugement de Pâris a déterminé qu'Aphrodite était plus belle qu'Héra et Athéna. En récompense, la déesse de l'amour accorde au jeune prince troyen de séduire Hélène "à la belle chevelure".

Le jeune homme enlève la reine de Sparte pour qui son mari Ménélas mènera la célèbre guerre de Troie. Les raisons mythologiques de cette guerre légendaire font donc valoir que l'on se bat pour une femme à la beauté exceptionnelle. Cependant, à plusieurs reprises dans l'Iliade, il est rappelé que les Grecs veulent aussi reprendre leurs richesses. Dans le troisième chant de son poème, HOMÈRE  écrit qu'Hector cherche à éviter le massacre inutile des innocents et relaie le souhait de son frère Pâris (appelé aussi Alexandre) :

Il invite les autres Troyens et tous les autres Achéens [les Grecs] à déposer  leurs belles armes sur la terre féconde, tandis qu'au milieu lui-même, et Ménélas aimé de d'Arès, seuls combattront pour Hélène et tous ses biens (traduction d'Eugène LASSERRE).

Les dieux en décideront hélas autrement et la guerre se poursuivra.

Jacques OFFENBACH (1819-1880) nous a laissé un très fameux opéra-bouffe, La Belle Hélène , qui met en musique et en humour ces épisodes mythologiques. On est très loin de l'aspect sérieux et solennel des poèmes homériques. Pour l'analyse, reportez-vous à l'article de M. NEUMANN La mythologie vue par les compositeurs.

  • Salammbô

Salammbô (1862) de Gustave FLAUBERT (1821-1880) est un roman inhabituel de la part de cet écrivain réaliste. Il s'écarte de la vie paisible de province et  place son action à Carthage, lors des guerres puniques au IIIe siècle avant notre ère(1). Le roman brûlant et flamboyant, réservé à un public averti, raconte d'une part la révolte des mercenaires au service du chef carthaginois Hamilcar Barca et d'autre part l'histoire d'amour mouvementé entre Mâtho le mercenaire lybien et Salammbô, la fille d'Hamilcar.

Le récit commence avec une phrase demeurée célèbre : "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Une phrase qui suit un rythme ternaire(2) avec des assonances (3)en a et qui illustre le génie stylistique de FLAUBERT. Un festin est offert aux alliés d'Hamilcar, ce qui est une occasion de dépeindre les apparences et les coutumes de nombreux peuples de l'Antiquité. En opposition à ces hommes barbares, ces guerriers âpres et sans scrupules, la narration cède la place à l'apparition de Salammbô, prêtresse de la déesse lunaire Tanit. Son portrait témoigne de sa richesse et de son charme surnaturel : "sa chevelure poudrée d'un sable violet", "sur sa poitrine un assemblage de pierres lumineuses", "elle portait entre les chevilles une chaînette d'or pour régler sa marche" (Chapitre I : "Le festin").

Parmi tous les mercenaires présents sur place et qui attendent impatiemment d'être payés se trouvent le Lybien Mâtho et le Numide Narr'Havas. Tous deux tombent immédiatement amoureux de la jeune femme. Lorsque celle-ci offre à boire à Mâtho, elle provoque une scène violente à découvrir dans la passage suivant : Un extrait de Salammbô de Gustave FLAUBERT : Narr'Havas attaque Mâtho.

Entre complots et trahisons multiples, les mercenaires tentent de déstabiliser le royaume carthaginois. Mâtho se charge entre autres de voler le zaïmph, le manteau sacré de la déesse Tanit, gardé précieusement dans le temple. Au huitième chapitre ("la bataille du Macar"), pour écraser la révolte, Hamilcar envoie ses éléphants au combat. 


FLAUBERT nous offre alors des scènes spectaculaires qui ne sont pas sans rappeler les mumakil de TOLKIEN dans Le retour du Roi (1955) adapté au cinéma par Peter JACKSON en 2003. La puissance écrasante des mastodontes est une des scènes les plus marquantes du récit. C'est bien Salammbô, involontairement, qui est la cause de cette bataille épique.
Au onzième chapitre "Sous la tente". Salammbô charme Mâtho et récupère le vêtement sacré. Elle se montre à tous avec le manteau qu'elle a repris : "les cinq armées , s'étageant sur la montagne, trépignaient et hurlaient ainsi tout autour de Salammbô". D'autres combats mènent le récit jusqu'à son terme. Le dernier chapitre réserve un sort tragique aux protagonistes, à vous de le découvrir en lisant le roman.

Les artistes en tout genre retiendront de Salammbô son charme ravageur ; elle est souvent représentée nue, parfois entourée de son python noir, animal fétiche des Carthaginois (chapitre X : "le serpent").
Le dessinateur et scénariste Philippe DRUILLET (né en 1944, voir Auvers BD compte rendu) a repris ce récit en bande dessinée en trois tomes intégrés à sa série de science-fiction Lone Sloane : Salammbô (1980), Carthage (1982) et Mâtho (1986). L'auteur transpose l'histoire antique dans un univers futuriste ; il y donne le rôle de Mâtho à son personnage Sloane, un vagabond de l'espace. Cependant, il s'est montré respectueux du texte de Flaubert et du découpage en chapitres. La richesse du trait, à la fois innovante et tributaire de classiques (comme Gustave DORÉ ou Gustave MOREAU) retranscrit l'atmosphère luxueuse, barbare et violente du roman original.

 

 

  • En attendant Minuit

A l'époque contemporaine, les récits relatant les guerres mondiales illustrent aussi d'un certaine façon les motivations des soldats.

En attendant Minuit, le poignant roman de Claude MICHELET (né en 1938) raconte alternativement l'histoire d'un couple séparé durant la Première Guerre Mondiale. Le paratexte porte cette phrase lourde sens :

"En souvenir de tous ceux qui étaient là-bas et de toutes celles qui les attendaient."

Le récit s'étend sur une très brève période qui va du mercredi 20 décembre au samedi 23 décembre 1916. Marthe reste seule à la ferme des Combettes en Corrèze, avec ses enfants Louise et Albert, depuis que son mari Jean Laval est parti le 2 août 1914.

Chacun attend la fin de la guerre pour pouvoir retrouver l'autre, ils se perdent dans leurs souvenirs, leurs espoirs, leurs craintes. Chacun attend minuit, car c'est l'heure à laquelle il pourra se coucher et oublier tout ce qui lui manque. Marthe doit non seulement de ses enfants et de leur éducation, mais aussi de tenir la ferme. Elle accomplit des tâches habituellement réservées aux hommes : "c'étaient les femmes que la mobilisation avait contraintes à effectuer tout leur travail !" (mercredi 20 décembre 22 heures 45). Elle doit pétrir le pain, rentrer les moissons, labourer le champ, assurer les semailles... En plus des efforts physiques, elle doit se montrer moralement forte, en supportant sa  belle-mère qui l'accable de reproches, en refusant les conseils de l'abbé qui incite les femmes à faire plus d'enfants, en faisant semblant de ne pas être inquiète.

L'héroïsme de Marthe ne se mesure pas aux dangers qu'elle affronte ni au nombre d'ennemis tués. Sa résistance quotidienne, ses efforts démesurés pour assurer l'avenir de ses enfants, son refus de céder au désespoir, sa volonté d'apprendre ce qu'elle ne sait pas faire sont autant d'actes de bravoure. A travers son histoire, l'auteur salue aussi le courage de toutes ces femmes qui ont lutté avec leurs propres moyens pour contribuer à l'effort de guerre.

 

Pour compléter cet aspect historique, lisez cette synthèse : La place des femmes dans la Première Guerre Mondiale, par Magali ANDRIEU

La suite dans une semaine avec HÉROÏNES DE TOUJOURS 3/4 : Femmes d'amour.

Le mois prochain vous lirez AU TEMPS DU ROMANTISME.

 

NOTES :

1 : Carthage est une ancienne ville se trouvant en Tunisie. Ses habitants, Poeni en latin, ont donc mené trois guerres mémorables contre l'Empire romain pour la domination du bassin méditerranéen.

2 : Rythme en trois temps, grâce aux virgules : "1C'était à Mégara, 2faubourg de Carthage, 3dans les jardins d'Hamilcar".

3 : Assonance : répétition d'un son vocalique qui crée une musicalité. Ici : C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar".

N. THIMON