Ce personnage trouble et ambigu fait le lien entre des traditions opposées. D’une part, celle des anciennes croyances celtiques, du paganisme et des dieux d’autrefois ; d’autre part, celle du christianisme grandissant, du Dieu unique, des exigences du roman courtois.

La version la plus connue (Merlin attribué à Robert de BORON, XIIIe siècle), en fait le fils d’une jeune fille pure et honnête et d’un démon trompeur, chargé de donner naissance à l’Antéchrist. Cette conception ambiguë explique la méfiance qu’il inspire mais également la nature de ses pouvoirs : connaissance de l’avenir (côté divin) et connaissance du passé (côté démoniaque).

De nombreux récits se plaisent à montrer Merlin sous un aspect effrayant, un enfant velu qui grandit plus vite que les autres, qui maîtrise le langage et qui peut mettre en défaut les adultes menteurs. Son rire, souvent gênant ou incompris par les autres, le rend inquiétant. En apparaissant souvent dans la forêt, quelquefois sous l’aspect d’un homme des bois, quelquefois accompagné d’un loup, Merlin conserve un caractère sauvage et indompté.

Plus tard, pourtant, Merlin jouera le rôle de conseiller, d’abord auprès du Roi Uter Pendragon et ensuite auprès du fils de celui-ci : Arthur, le Roi de la Table Ronde. Beaucoup de textes le présentent comme celui grâce à qui le jeune Arthur a pu conquérir le trône de Bretagne(1).  Il semble souvent mener une vie parallèle ; il va et vient selon son bon vouloir, disparaît, pour réapparaître… comme par enchantement.

A ce titre, l’œuvre de T. H. WHITE (1906-1964) The Once and Future King et plus précisément le roman The Sword in the Stone (=L’épée dans la pierre, 1938) adapté en dessin animé par Walt Disney (1901-1966) dans Merlin L’Enchanteur (1963) a largement contribué à donner l’image positive et amusante d’un vieillard excentrique bien qu’il soit en réalité un homme plus sombre. Dans le roman au troisième chapitre, il est décrit avec une robe flottante, un chapeau pointu d'où descend un araignée, des lunettes et une baguette ; ses cheveux semblent abriter un nid d'oiseau. Néanmoins, grâce à son savoir et ses pouvoirs, il affirme son rôle d’enchanteur, un personnage surnaturel, représentatif du récit merveilleux du Moyen-Âge.

Il existe un très grand nombre d’adaptations et de réécritures de l’histoire de Merlin qu’il est impossible et inutile de recenser : Le Morte d’Arthur, (XVe s), roman de Thomas MALORY ; son adaptation cinématographique Excalibur (1981) de John BOORMAN ; les gravures de Gustave DORÉ (1832-1883) ; le roman de René BARJAVEL L’Enchanteur (1984) ; les cinq saisons de la série de la chaîne britannique BBC Merlin (2008-2012) ; la bande dessinée Merlin de Jean-Luc ISTIN et Eric LAMBERT (1994-2009) ou celle de David CHAUVEL et Jérôme LERECULEY Arthur tome 1- Myrddin le fou (1999) sont autant d’exemples méritant chacun des articles complets.

 

Plutôt que de retracer toute l’histoire de ce personnage singulier, il convient maintenant de le rapprocher d’autres figures connues remises au goût du jour grâce à des romans et leurs adaptations au cinéma.

b. Gandalf le magicien

Tout d’abord, sous la plume de John Ronald Reuel TOLKIEN (1892-1973), dans son célèbre ouvrage Bilbo le Hobbit (1937) naît le personnage de Gandalf. Il revient ensuite dans Le Seigneur des Anneaux (1954-1955) et apparaît également dans Le Silmarillion (1978, publication posthume = après la mort de l’auteur). Son nom, qui est en fait tiré de la mythologie scandinave, l’Edda poétique (XIIIe s.), signifie littéralement « l’elfe à la baguette », «  l’elfe au bâton ». Les familiers de l’œuvre savent que Gandalf porte certes un bâton mais il est loin d’être un elfe. TOLKIEN , rappelons-le, spécialiste des langues germaniques et scandinaves s’est plu à piocher dans un vaste choix de noms évocateurs. Les récits non publiés du vivant de l’auteur nous éclairent sur le passé de cet être qui n’est humain qu’en apparence et nous révèlent sa vraie mission en Terre du Milieu.

Pourtant, le héros de Tolkien (de même que son incarnation cinématographique dans Le Seigneur des Anneaux (2001-2003) et Le Hobbit (2012-2014) de Peter JACKSON) partage avec son illustre prédécesseur un certain nombre de caractéristiques notables. C’est un vieil homme barbu, portant un long vêtement et un chapeau pointu. Il n’est pas dénué d’humour, possède des pouvoirs gigantesques que l’on ne fait que soupçonner ; il accompagne, conseille et protège les personnages principaux et il a une fâcheuse tendance à disparaître aux moments les plus critiques pour resurgir soudainement. Le magicien, par sa présence, donne corps au récit de fantasy, il confirme l’existence des êtres surnaturels.

c. Dumbledore le sorcier

Ensuite, les collégiens seront aussi familiers d’un autre personnage littéraire créé par la romancière britannique J. K. ROWLING (1965-). Albus Dumbledore, dans Harry Potter (1997-2007), le très réputé directeur de l’école de sorcellerie de Poudlard, se présente lui aussi sous les traits d’un très vieil homme au regard malicieux ; portant une robe de sorcier et un chapeau en pointe.Son attribut n’est plus un bâton mais une baguette. Tous ces aspects seront conservés dans l’adaptation cinématographique (2001-2011).

Son nom, Albus, est issu du latin et signifie blanc (cf. la pierre blanche nommée albâtre ; la blanche Albion, surnom de l’Angleterre à cause de la blancheur de ses falaises littorales…). La référence à cette couleur traduit on ne peut mieux l’expression française de « vieillard chenu », c’est-à-dire, blanc de vieillesse. Son très grand âge n’est cependant pas un obstacle à ses extraordinaires compétences : sage, perspicace, subtil, sympathique et terrible à la fois, il peut aussi bien plaisanter que menacer et, si besoin, frapper.

Comme les personnages cités plus haut, il intervient pour aider le héros, le conseiller ou lui donner des missions. Il est lui aussi capable de rester introuvable pendant de longues périodes avant de revenir au moment qu’il jugera opportun. La romancière joue avec les conventions en s’inscrivant dans une longue tradition littéraire, tout en renouvelant le genre. Elle donne en effet à son sorcier un rôle positif et en fait l’un des piliers de son univers de magie.

Le héros né avec Merlin est devenu une figure incontournable des récits de ce type. S’il perd en sauvagerie, il gagne toujours en humanité, devenant plus abordable, mais aussi plus vulnérable. Enchanteur, magicien ou sorcier, de nombreux indices nous prouvent qu’il s’agit de l’incarnation d’une seule et même figure emblématique et éternelle.

On peut à présent se poser la question suivante : quels sont ceux qui, dans notre vie de tous les jours, remplissent les multiples fonctions du magicien ?

 

La fin dans AUTOUR DU HOBBIT 3/3 : la représentation symbolique du dragon dans la culture occidentale


NOTES :

1 : Le roi Arthur est un personnage légendaire dont l’existence n’est pas totalement avérée. Il pourrait s’agir d’un chef de guerre breton ayant combattu contre les envahisseurs saxons, vers le Ve siècle à la fin de l’Empire romain. Ce sont en partie les romans de chevalerie qui lui ont donné le rôle que l’on connaît.

N. THIMON