Par Marion VAILLANT (Collège de la Clef de Saint-Pierre, Elancourt (78)) le 10 avril 2014, 19:00 - Concours Etonnants Voyageurs
Tomber
Et elle partit, tenant sa fille dans ses
bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d'un simple jouet d'enfant,
d'une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu'était la
guerre.
Elle avança, sa fille dans les bras, dans
la poussière, dans la foule précipitée, avec une sérénité qui lui était
soumise. Elle marcha dans les allées d'un pas réfléchi et lourd. Le feu
détruisait tout sur son passage et, sous les pas de la jeune femme, une pluie
d'acier torturait la moindre lueur d'espoir. Elle avançait, déterminée à
survivre, tenant fermement sa fille contre son cœur. Soudain, un sifflement
assourdissant se fit entendre et la mère, d'un mouvement vif et précis, posa sa
fille à terre et se coucha sur elle le temps de l'explosion. Elle attendit le
calme pour relâcher lentement ses muscles et libérer sa fille qui ouvrit ses
petits yeux doucement.
- « Qu'est ce qu'il s'est passé
maman ? dit la petite fille d'un ton sec et affolé.
- C'est une étoile qui est tombée du ciel... »dit-elle
pour ne pas détruire l’innocence dans les yeux et dans le cœur de sa tendre
fille, pour qu'il lui reste un peu d'espoir.
Elle prit sa fille par la main et contourna
le cratère qui était non loin de là. Elles arrivèrent à la sortie du village et
tournèrent derrière une maison en ruine, noire de cendre et de désespoir. Là,
la jeune femme lâcha sa fille et fit un pas puis se mit accroupie devant une
masse noire. La petite fille regarda sa mère, immobile. La jeune femme tendit
la main, prit la petite masse et l'essuya. Elle se releva et retourna vers sa
fille. Elle se mit à sa hauteur et lui tendit la main. Sa fille regarda sa mère
dans les yeux et, brusquement, jeta son regard sur la petite chose que tenait
sa mère.
Sous la suie, elle reconnut.
Il manquait un bas à sa poupée. Elle la
prit et la regarda quelques instants. Sa mère se releva et tourna les talons.
La petite fille la suivit. Soudain, elle s’arrêta et fixa, horrifiée, un corps
noir de suie où l'on pouvait voir une tache blanche en forme de poupée.
- « Maria, dépêche-toi. » lui
murmura sa mère.
La petite fille regarda une dernière fois
le corps sans vie qui se présentait à elle et rejoignit sa mère. Elles
continuèrent le long du chemin qui conduisait à la forêt, où, de l’autre côté,
se trouverait un endroit sûr pour elle et sa fille. Une fois arrivées à l’orée
de la forêt, elles s’y hâtèrent car elles pouvaient encore entendre les obus
s’écraser sur Verdun et la foule appelant à l’aide. Au bout de quelques heures
de marche, la jeune femme décida de s’arrêter pour faire une pause. Elles
allèrent donc s’asseoir au pied d’un arbre sur de la mousse. La fillette,
exténuée par le voyage, s’allongea et ne tarda pas à s’endormir après avoir
ingurgité les baies que sa mère avait soigneusement cueillies pour elle. Le
soleil se couchait et la mère alla se coucher auprès de sa fille. Au loin, on
pouvait toujours voir le monstrueux spectacle de Verdun…
Au petit matin un bruit mystérieux les
réveilla. Il venait des buissons. La mère s’avança prudemment et se jeta
menaçante sur le buisson. Là elle découvrit un petit garçon qui les avait suivies.
Il leur expliqua qu’il s’appelait Sam et que sa famille avait péri lors d’un
incendie, la veille. La jeune femme le convia à leur périple et ils reprirent
leur route. La petite fille serrait toujours sa poupée de chiffon dans ses bras
et elle était de plus en plus effrayée à chaque minute qui passait. Sam était
un petit garçon timide qui devait être du même âge que la petite fille, six ou
sept ans au plus. Il paraissait malheureux durant le voyage car il regardait
souvent le sol et poussait soudain de grands soupirs en levant les yeux au
ciel ; sans doute il pensait à sa famille…. La jeune femme s’occupait du
mieux qu’elle pouvait des deux enfants, mais cela restait pénible et dur pour
elle, faute de ravitaillement. La forêt semblait ne plus en finir et leurs
pieds commençaient à être très fatigués et en mauvais état. Une odeur
s’installait dans leurs habits et la crasse devenait de plus en plus présente
sur eux.
Le soir, alors qu’ils allèrent s’arrêter
pour se reposer, la petite fille aperçut une maisonnette cachée par des arbres.
Ils s’en approchèrent et virent que la porte était ouverte. Il ne semblait y
avoir personne. Dans l’unique pièce que contenait cette maison, se trouvait un
lit où ils s’empressèrent de se jeter. Au lever de soleil, la jeune femme était
déjà debout. Elle n‘avait presque pas dormi car la peur la rongeait. Elle ne
savait ni comment elle en était arrivée là ni comment elle allait s’en sortir.
Elle se disait que si elle était encore en vie, s’était seulement parce qu’elle
devait sauver sa fille. Les deux enfants se réveillèrent et la jeune femme leur
lança un regard affectueux puis ils se préparèrent pour repartir car l’armée
allemande ne devait pas être très loin vu leur rythme de marche. La mère ne
prit qu’un sac où elle mit des provisions trouvées dans un recoin de la salle
et une couverture pour les enfants. Ils reprirent leur chemin à travers les
bois. En début d’après- midi, ils trouvèrent un ruisseau où ils firent leur
toilette et où ils burent toute l’eau qui leur était permis de boire.
Lorsqu’ils repartirent, Sam traina un peu. Lorsque la jeune femme vit une armée
allemande passée, elle s’empressa de se jeter à terre et de prendre sa fille
dans ses bras. Sam, lui, ne s’aperçut pas tout de suite de la présence des
allemands : il ne put donc pas se cacher. Il se trouvait à une trentaine
de mètres des deux filles. La jeune femme ne put se résoudre à alerter Sam de
peur de risquer la vie de Maria. Lorsque Sam aperçut les allemands, paniqué, il
se mit à courir. Le chef allemand ordonna de l’attraper et les soldats se
lancèrent à la poursuite du petit garçon. Ils finirent par le rattraper et Sam
se mit à hurler de toutes ses forces. Quand ils arrivèrent devant le militaire,
ils jetèrent Sam à terre. La jeune femme se colla contre l’arbre auquel elle
faisait face. Les militaires ne les virent pas. Soudain un coup de feu se fit
entendre et la petite fille sursauta. Une larme coula sur le visage de la jeune
femme. Maria se blottit dans les bras de sa mère et sanglota en silence. La
mère regarda le ciel à travers les branches d’arbres et respira pour reprendre
des forces car elle se devait d’être forte pour sa fille. Elle attendit que les
soldats repartent pour dire à sa fille :
·
Tout
va bien …
Elle prit sa fille dans ses bras pour la
porter et se leva. Ne voulant pas montrer à sa fille le corps de Sam, elle
décida de le contourner légèrement pour qu’elle puisse l’apercevoir. En le
voyant, elle se dit que cette mort n’était pas nécessaire et laissa une larme couler
sur ses joues… Elle aurait aimé offrir au corps de Sam une sépulture, mais le
temps lui manquait et l’épreuve qu’ils avaient endurée ne serait que plus
lourde avec cette mort sur sa conscience.
Alors la mère et sa fille continuèrent leur
voyage vers une prochaine source de protection …
Durant de longues semaines elles durent
endurer les cachettes malsaines et la faim qui les tiraillait. Durant tout ce
temps où le temps commençait par sembler tellement long qu’on eut l’impression
qu’il jouait contre nous. Durant tout le temps il fallait veiller l’une sur
l’autre pour ne pas sombrer dans une folie occasionnelle… Le poids de cette
opération devenait de plus en plus lourd….
Cette situation paraissait bien trop
inconfortable pour une jeune mère et sa fille.
Ce qu’elles vécurent durant un mois et demi
fut une expérience humaine que la jeune mère ne souhaita à personne. La faim,
la crasse, le manque de soin, les maladies, les animaux, la peur, l’angoisse,
la tristesse, la culpabilité, la folie, les maux de têtes insoutenables ;
les câlins, les sourires, la compagnie, le réconfort, furent les seules choses
auxquelles elles eurent droit. La poupée était l’exemple même de la situation
dans laquelle elles se trouvaient : la poupée semblait mourir lentement,
physiquement et moralement…
Le sac à dos était presque vide et la folie
rongeait leurs esprits. Au fur et à mesure du temps, la poupée de chiffon
tombait en lambeaux. Le visage de la petite fille s’effaçait petit à petit.
Toutes deux étaient devenues livides.
Le soleil disparaissait entre les branches.
La brume du matin s’engouffrait dans leurs poumons. La jeune femme offrit à sa
fille la dernière bouchée de pain. Ils ne leur restaient plus beaucoup de
force. Elles avaient vécu dans d’atroces conditions.
Durant cette dure période, un évènement
avait traumatisé la jeune femme : elle avait dû tuer un homme. Cela
s’était passé en fin de matinée, lors d’une journée relativement ensoleillée.
La jeune femme et sa fille s’étaient, comme à leurs habitudes à cette heure -ci,
assises au pied d’un arbre pour faire une pause. Elles se reposaient
tranquillement après avoir longuement marché. Elles étaient essoufflées et à
bout de force. La mère découpait des fruits avec un couteau qu’elle avait
trouvé sous les feuilles plus tôt dans la journée. Brusquement, un homme est
sortit de dernière l’arbre et a basculé sur les demoiselles. Ce ne fut pas
long. La mère le repoussa sur le coté et s’aperçut que l’homme avait le couteau
planté dans la poitrine. La jeune femme s’apercevant qu’il devait s’agir d’un
homme qui vivait sûrement dans les mêmes conditions de vie qu’elle vivait,
essaya de lui venir en aide et lui compressa sa blessure, mais en vint….
L’homme était mort. Il avait le visage couleur terre et des vêtements déchirés.
Il avait dû devenir fou.
Mais voilà, la jeune femme n’en revenait
toujours pas ; comment avait-elle pu tuer un homme !?
Cet évènement avait eu lieu trois semaines
plus tôt.
Elles marchaient donc à travers la forêt
quand une horde de soldats cria subitement de s’immobiliser. La mère mit sa
fille dans son dos et regarda les soldats qui lui faisaient face. Elle essayait
de les éloigner, mais ses efforts furent vint. Un coup de feu retentit et tous
les oiseaux alentour s’envolèrent. La jeune femme, n’étant pas blessée, se retourna vers sa fille qui était tordue en
deux. La mère s’approcha avec un visage coléreux. Lorsqu’elle vit la blessure,
elle sut qu’elle serait fatale. Les soldats, voyant que leur fin était proche,
repartirent. La petite fille était maintenant à genoux et sa mère lui tenait
les épaules. La jeune femme savait qu’elle ne pouvait plus rien et pleura
doucement. Soudain le visage de la jeune fille se blêmit, et sa mère comprit.
La petite fille tomba et avec elle
l’innocence, la joie, l’espoir.
La mère alla se mettre à la hauteur de sa tête,
posa la petite tête de sa fille sur ses genoux et hurla. Elle hurla pendant des
heures et personne ne vint l’aider.
-« Et ça finit comme ça ? dis-je.
- Oui » répondit grand-mère.
Et après la jeune femme eut une autre
fille, ta mère.
-« Mais alors grand-mère !
-C’était toi !
-En tout cas elle était triste ton histoire. »
Et elle se glissa dans les bras de sa
grand-mère.